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Grand Angle

Maroc : La pauvreté est la véritable cause de la déforestation

Avec l’hiver, tous le bois ramassé cette année, dans les petits villages de l’Atlas, va brûler pour chauffer les habitations. Le ramassage du bois, faute d’une autre source d’énergie accessible, est la première cause de la déforestation au Maroc. Deux associations franco-marocaines luttent pour préserver les forêts au bénéfice de ses plus proches habitants.

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Les premières neiges sont déjà tombées depuis plusieurs semaines à Ifrane. La rudesse de l’hiver a saisi tous les petits villages d’altitude, dans l’Atlas. Les fours à bois chauffent à plein régime dans toutes les maisons en cette période de grands froids. Les ménages ruraux constituent 89% de la consommation de bois, au Maroc, soit près de 10 millions de mètres cubes de bois, chaque année, indique le Haut commissariat aux Eaux et Forêts, selon La Vie Eco.

La croissance naturelle des forêts, la taille des arbres fruitiers et les résidus agricoles, ne suffisent pas à soutenir une telle croissance. Ainsi, chaque année, les forêts marocaines s’amaigrissent de 3 millions de tonnes d’arbres. «En ce qui concerne les causes de la déforestation, d'aucuns invoquent l'accroissement démographique, le surpâturage, le ramassage de bois de feu ou encore le défrichement de la forêt pour la transformer en terres agricoles. Mais ce sont, là, non pas les causes mais uniquement les conséquences. Les vraies causes de la déforestation, au Maroc et dans les autres pays en développement, sont, entre autres, la pauvreté, la faim, l'accès à la terre, le chômage […]», estime M. Ellatif, expert pour la FAO et président fondateur de l’association Sylva-Monde, dans Aujourd’hui le Maroc.

Le bois n'est pas gratuit

Faute d’autre source d’énergie dans les villages, le bois sert à tout : du chauffage de la maison, à la cuisson du pain, en passant par les chaufferies des hamams. «L’électrification rurale est formidable, mais elle apporte l’éclairage, pas de puissance, explique Philippe Leisz, responsable de l’antenne de l’association française Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarités (GERES), au Maroc, la tarification progressive de l’électricité est totalement dissuasive : les habitants de ces villages n’ont pas assez de revenus.» Le sous-développement et la pauvreté des zones rurales isolées, en montagne, est donc partie liée avec la déforestation.

«On a l’impression que le bois est gratuit pour les villageois, mais en réalité il coûte énormément en travail. Ce sont les femmes qui vont le ramasser dans des sites de plus en plus éloignés des villages», explique Erwan Le Nezet, chargé de mission à l’Association Rif pour le Développement local et Durable-Bellota (ARDB). En partenariat avec l’association GERES, elle a développé des fours à gaz adapté à la cuisson du pain. Les habitants de la commune rurale de Brikcha, dans le Rif, ont été intéressés en dépit de son coût parce qu’il représentait un gain. «Un four à bois consomme environ 12kg de bois par jour, que les femmes rapportent au terme de 3 ou 4 heures de marche, alors qu’une bouteille de gaz dure toute une année», explique Philippe Leisz.

Soulager les sols

La pression démographique, particulièrement forte dans le Rif, a conduit de plus en plus de gens vers l’agriculture. Un phénomène démultiplié par la nature de cette agriculture : intensive, elle entraine une forte érosion des sols. Parce qu’ils ne parviennent plus à produire autant, les agriculteurs abattent d’autres pans de la forêt pour les transformer en champs. «A Brikcha nous avons formé 70 agriculteurs à l’agro-écologie qui exploite moins fortement les sols», raconte Philippe Leisz.

Une démarche moins vite intégrée que les fours à gaz parce que de telles techniques de culture entraînent plus de travail pour les agriculteurs eux mêmes. «On leur a créé un réseau économique plus avantageux pour compenser le surcoût engendré par cette forme d’agriculture biologique : ils vendent leur production directement à certains restaurateurs de Chefchaouen qui bénéficient d’un label particulier lié à la qualité de leurs produits», développe le responsable de GERES Maroc.

Utiliser le bois de taille

En dépit de tous les efforts que pourrait faire le Maroc sur cette question, Erwan Le Nezet reconnait : «il est impossible de trouver une source d’énergie de substitution au bois pour ces villages, à court terme», étant donnée la situation économique des populations rurales aujourd’hui. Les deux associations, GERES et BARD, essaient donc de rendre l’utilisation du bois plus efficace.

Aujourd’hui 19% de la consommation annuelle de bois au Maroc provient des arbres fruitiers, soit 2,15 millions de tonnes, précise le Haut commissariat aux eaux et forêts. «Nous avons travaillé avec 14 jeunes agriculteurs pour la taille de leurs caroubiers et de leurs oliviers. Cette taille améliore les rendements de leurs arbres et offre des chutes de bois à la consommation locale», détaille Abdelaghani Lakhdar, coordinateur de projet pour la ARDB. «La taille de ces arbres se faisaient déjà dans d’autres régions, comme à Meknes, par exemple, mais pas dans le Rif», note Philipe Leisz.

Le Kif et la déforestation

Dans le Rif, une culture bien particulière rogne aussi, peu à peu, les espaces forestiers : le cannabis. « La superficie cultivée de kif dans cette région s’élève à plus de 130.000 hectares, et parmi les répercussions néfastes que provoque la propagation de cette culture figurent notamment la dégradation des terres et la déforestation », a déclaré, en 2005, Mohand Laenser, qui est aujourd’hui ministre de l’Intérieur.

Depuis les années 1970, la taille des zones cultivées, dans la région, a littéralement explosé et les flancs de montagne, en bordure de forêts, sont particulièrement avantageux parce qu’ils sont isolés. De 2000 hectares dans les années 60, la production couvrait, en 2003, 134 000 hectares, selon le Bureau des Nations unies pour les drogues et le crime.

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