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Grand Angle

Diaspo #307 : Hicham Jamid à la croisée des parcours migratoires à travers la sociologie

Docteur en sociologie au Conservatoire national des Arts et métiers de Paris, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à l’Université d’Aix-Marseille, Hicham Jamid s’est porté sur les sciences humaines dans sa ville d’adoption, Agadir. C’est là-bas que le natif de Jerada a mis le pieds à l’étriller de la sociologie de la migration, qu’il aborde désormais à travers un prisme croisé en ici et ailleurs.

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Hicham Jamid, docteur en sociologie et spécialiste des migrations
Temps de lecture: 7'

Né à Jerada en 1988, Hicham Jamid est issu d’une famille ouvrière où le fait migratoire a évolué d’abord dans une dimension locale. Fils d’un ancien travailleur de mine de fond, sa famille a justement émigré en quittant son village de la tribu de Damsira dans le Haut-Atlas, pour aller travailler dans les mines de charbon dans l’Oriental. Comme d’autres ouvriers ayant décidé de retourner dans leur région d’origine à la fermeture du site industriel, à la fin des années 1990, son père s’installe à Imintanoute, chef-lieu des tribus de la commune. C’est ainsi dans cette région que le jeune chercheur suit son cursus primaire et secondaire.

Par ce vécu de la naissance à aujourd’hui, Hicham Jamid estime que sa migration a d’abord été «une mobilité pour études». «Je suis arrivé en France pour faire ma thèse, mais surtout pour travailler comme assistant de recherche dans le cadre d’un projet scientifique à l’ENSTA Bretagne, une école d’ingénieurs à Brest», déclare-t-il à Yabiladi. Mais entre ces deux périodes, le chercheur s’est confronté à plusieurs défis.

«A l’obtention de mon baccalauréat en 2007, comme beaucoup d’étudiants marocains, je voulais partir poursuivre mes études supérieures en France. Qui dit 2007, dit le début de la mise en place de Campus France, l’agence qui administre officiellement, et jusqu’à aujourd’hui, l’arrivée des étudiants étrangers dans l’Hexagone. Au Maroc, j’ai rempli tous les formulaires et toutes les démarches en ligne. J’ai même été accepté dans trois université françaises : celle de Nancy, de Lyon et de Dijon. Cependant, au moment de demander mon visa «étudiant», je n’avais pas la somme exigée (6 000 euros à l’époque, 8 000 euros désormais), justifiant ma capacité de couvrir les coûts des études en France.»

Hicham Jamid

Issus d’un milieu social populaire, d’un père ancien mineur de fond, le bachelier s’est rendu à la dure évidence que «les études à l’étranger ne sont possibles que pour les étudiants de la classe supérieure, dotés d’un capital économique, culturel et social conséquent». «C’était pareil lorsque je voulais partir faire ma thèse. Heureusement que je suis parti pour travailler dans le cadre d’un projet de recherche, et de ce fait, j’avais un contrat de recherche, ce qui a facilité l’obtention d’un visa pour études», souligne-t-il encore auprès de notre rédaction.

Un parcours de recherche entre Agadir et Marseille

Entre temps, Hicham Jamid obtient une licence en économie et gestion de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Ibn Zohr d’Agadir, puis un master spécialisé en migrations et développement durable de la Faculté des lettres et des sciences humaines de la même université. Soulignant l’intersectionnalité entre ces domaines, il met en avant l’avantage du caractère pluridisciplinaire de son master, localisé dans le département de géographie.

«Comme vous le savez, la question migratoire traverse toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Je me suis orienté davantage vers la sociologie car c’est la discipline que me paraissait la plus à même à répondre à mes questions de recherche, à savoir l’analyse fine des parcours migratoires et des trajectoires professionnelles des Marocaines et Marocains hautement diplômés», déclare-t-il à notre rédaction.

Pour le chercheur, «la démarche sociologique accorde beaucoup d’importance au discours des premiers concernés» qui sont, dans son cas, les migrants hautement qualifiés. Avec l’accréditation, fin décembre 2013, de sa structure de recherche, l’Observatoire régional des migrations, espaces et sociétés (ORMES), de co-piloter une école doctorale spécialisée sur les migrations nationales et internationales, depuis, vers et à travers le Maroc, Hicham Jamid y est retenu pour réaliser une recherche doctorale.

«Mohamed Charef, directeur de l’ORMES, a accepté de m’accompagner dans cette aventure scientifique et de diriger ma thèse. A la suite d’un séjour de recherche en France, j’ai rencontré feu Mohamed Madoui, un grand sociologue des migrations internationales. Ce dernier, vaillamment et avec beaucoup d’intérêt, m’a proposé de co-diriger avec Mohamed Charef ma recherche doctorale dans le cadre d’une cotutelle de thèse entre son laboratoire de rattachement, le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE/CNRS-UMR3320) du Conservatoire national des Arts et métiers (CNAM) de Paris et mon unité de recherche à l’Université Ibn Zohr d’Agadir», se rappelle le chercheur. C’est ainsi qu’il entreprend une nouvelle vie en France, à partir de 2015.

Autant dire que Hicham Jamid voit son parcours différemment de celui d’«un étudiant étranger qui arrive en France juste après son baccalauréat ou après des classes préparatoires, ou même pour faire un master». «Je suis venu pour faire une thèse et c’est un parcours académique et scientifique totalement différent. J’ai été très bien inséré dans le système de l’enseignement supérieur français. J’ai donné des cours, j’ai dirigé des mémoires de licence, j’ai participé à des colloques, j’ai publié…», se félicite-t-il désormais.

Pour autant, l’universitaire souligne que «comme tout autre étranger en France, ce sont plus les questions liées aux démarches administratives de renouvèlement de titre de séjour et de changement de titre de séjour qui ont été très problématiques, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs». «En France, on est toujours soupçonné d’être un ‘faux étudiants’ et un potentiel immigré dit ‘clandestin’, même avec une thèse», nous confie-t-il.

Un fait migratoire qui se globalise

Désormais chercheur en migration, issu lui-même d’un parcours migratoire personnel et armé d’un bagage universitaire multidisciplinaire, Hicham Jamid a développé une approche transversale sur l’analyse des mobilités. Aujourd’hui, il estime que depuis, vers ou à travers le Maroc, «les migrations internationales constituent une composante structurelle de l’évolution de l’économie, de la démographie, de la société et de l’organisation territoriale du royaume».

«Tout au long du XXe siècle, l’espace marocain a connu plusieurs ‘âges d’émigration’, avec des rythmes et des tendances diverses. Depuis, l’émigration internationale marocaine vit en permanence des changements sociodémographiques complexes qui s’accélèrent en relation avec les évolutions du monde analyse-t-il auprès de notre rédaction».

«Après son indépendance en 1956, le Maroc est devenu l’un des principaux pays d’émigration du monde et le nombre de Marocains résidant à l’étranger ne cesse de croître. Ce phénomène concerne aujourd’hui toutes les couches sociales marocaines et pratiquement l’ensemble des régions du pays. Cette généralisation de l’émigration s’accompagne d’une globalisation en ce qui concerne les destinations. Ces dernières ne sont plus limitées aux pays de l’Europe occidentale où les Marocains sont parmi les premières communautés d’immigrés, notamment en France, en Belgique, en Espagne ou en Italie, mais concernent désormais les cinq continents.»

Hicham Jamid

La migration étant pour lui désormais un parcours personnel et universitaire à la fois, Hicham Jamid voit autrement aussi la dynamique de mobilité des jeunes marocains diplômés. «D’abord il faut souligner que dans un contexte marqué par l’éclosion de ‘l’économie du savoir’ ou de ‘l’économie fondée sur la connaissance’ et face à un marché du travail mondialisé, l’émigration des hautement qualifiés est un phénomène tout à fait ordinaire. Elle concerne aussi bien les pays du ‘Sud’ que ceux du ‘Nord’», souligne-t-il.

Dans cette perspective, le chercheur distingue «deux grandes catégories de facteurs : endogènes, liées à l’individu et au Maroc, et exogènes liées aux pays d’attraction».

«Pour les facteurs endogènes: les personnes à haut niveau de formation et de qualification professionnelle émigrent là où elles sont mieux rémunérées et plus productives. La prospection d’un meilleur environnement professionnel, conjuguée aux limites d’une carrière professionnelle dans le pays d’origine ou aux besoins de formation et de perfectionnement dans certains domaines techniques, expliquent en partie leurs départs. L’émigration des «compétences» s’explique également par le désir de disposer d’un cadre de vie propice à l’épanouissement personnel et aux libertés et de vivre dans un environnement social moins contraignant, notamment pour les femmes. Il y a enfin le souci d’assurer un meilleur avenir à ses enfants en leur garantissant des systèmes de scolarisation et de formation performants.»

Hicham Jamid

En l’espèce, le chercheur souligne que «les causes du départ dépassent le seul cadre professionnel et se déterminent aussi par des considérations familiales et sociales». Parmi les facteurs exogènes de cette mobilité, il rappelle «fondamentalement la compétition internationale au sujet des compétences hautement qualifiées, notamment dans certains domaines».

«Conscients des enjeux stratégiques du capital humain, certains pays développés du Nord déploient des moyens conséquents d’attraction des meilleurs étudiants et des travailleurs les plus qualifiées des pays du Sud. Cette attractivité est exercée à travers divers moyens (laboratoires et centres de recherche bien équipés, des pôles scientifiques et professionnels ouverts à l'initiative individuelle, favorables à la recherche et à l’innovation)…», analyse encore Hicham Jamid.

Et d’ajouter qu’en second lieu, «plusieurs pays occidentaux ont adopté des directives pour simplifier et accélérer les procédures d’attribution de visas, de titres de séjour et de permis de travail pour les professions réputées en ‘tension’». «Enfin, il y a le recrutement à la source, par l’envoi de recruteurs «chasseurs de têtes» pour engager des candidats à l’émigration, notamment en informatique. Il y a aussi l’octroi de bourses aux étudiants (bourses d’études) et aux professionnels (bourses de stages), l’offre de postes à l’international par les sociétés internationales présentes au pays», rappelle-t-il.

Dans ce sens, à partir de son vécu et de ses recherches, Hicham Jamid soutient que «chacun a son propre projet migratoire pour études». «Etudier et vivre dans un pays étranger est certes une expérience enrichissante à plusieurs titres. Cela peut aussi être une épreuve où on rencontre des difficultés, voire des déceptions», insiste-t-il, ajoutant qu’il multiplie lui-même les allers-retours entre le Maroc et la France, en tant que chercheur notamment pour collaborer dans des projets communs avec des institutions et des universités.

Actuellement, Hicham Jamid est chercheur à l’IRD de Marseille, où il travaille avec plusieurs collègues marocaines et marocains. Il travaille aussi «en étroite collaboration» avec ses collègues de l’Université internationale de Rabat, étant membre de la revue Afrique(s) en Mouvement, éditée par l’UIR. Mettant sa pierre à l’édifice pour pérenniser les passerelles académiques, il est toujours membre de l’ORMES, avec qui des écoles de formation à la recherche au profit d’étudiants, de journalistes et d’acteurs publics et privés portés sur les problématiques migratoires depuis, vers et à travers le Maroc.

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