«Si j’arrête l’art acrobatique, je vais mourir de faim ; je ne saurais pas faire autre chose et je ne me retrouverais pas dans un autre métier». C’est ainsi qu’Outman Elbohssini nous a exprimé son amour pour l’acrobatie comme art rue ayant façonné tous les aspects de son parcours de vie. Du passe-temps, cette activité qu’il chérit tant est devenue son moyen de subsistance quotidienne. Avec son épouse et leurs trois enfants, la petite famille a désormais cultivé un engouement collectif pour cet art. Autant dire que tout le monde s’y met.
Mais avant cela, Outman a commencé l’aventure en faisant cavalier seul. Depuis son adolescence dans le douar natif de Oulad Hmaid, province d’El Ksar El Kébir, il apprend de nouveaux mouvements et s’exerce à l’abri des regards, alors qu’il n’a que 13 ans. Il décide plus tard de sortir de l’ombre et de libérer son talent devant le public. Sa petite famille rejoint l’aventure, ce qui fait de chacune des prestations collectives un moment très particulier, pour les petits et les grands.
Après son mariage et la naissance de son premier fils, Mohamed, 7 ans aujourd’hui, le père de famille a commencé en effet à partager son amour pour les acrobaties avec ses proches. «Dès que notre enfant a atteint ses deux ans, j’ai commencé à faire mes séances devant lui, afin de le familiariser avec cet univers», se souvient-il. Le couple a donné naissance ensuite à son deuxième fils, Elias, 5 ans, puis son troisième, Réda, 2 ans. L’acrobatie, un sport et un art à la fois, est devenue alors une affaire familiale.
Une famille accrobate des parents aux enfants
Outman Elbohssini a exercé dans plusieurs secteurs, tout en continuant l’art acrobatique avec ses trois garçons. Depuis 2022, il a décidé d’élargir la troupe familiale en y incluant son épouse, Najlae, la mère des enfants. Ils ont aussi pris la décision d’investir l’espace public. «Nous sommes sortis à la Corniche de Tanger et nous avons commencé par des mouvements simples, en portant nos enfants sur ses épaules. Plus nous avons enchaîné les séries, plus les gens se sont rassemblés en nombre autour de nous. Nous avons été très acclamés et nous nous sommes sentis bien accueillis dans cet espace, d’où l’idée pour nous d’évoluer dans l’art de rue», a indiqué Outman à Yabiladi. La proposition a bénéficié de l’approbation de la mère de famille et la décision de s’installer même à Tanger n’a pas tardé à se concrétiser.
«Tout ceci a pris beaucoup moins de temps que prévu. En l’espace de trois mois environ, mon épouse m’a ébloui par sa capacité à effectuer des enchaînements de mouvements à la perfection. Elle a une formidable aptitude à apprendre rapidement.»
Depuis que le couple a décidé de faire de cet art une performance collective devant le large public, cette nouvelle manière de vivre a eu un impact sur sa vie privée à plusieurs titres. Plus les deux parents ont travaillé ensemble sur ce projet qui leur tient tant à cœur, plus ils se sont rapprochés davantage, sur le plan affectif. «Avant, il nous arrivait d’avoir des tensions en privé, mais depuis que nous travaillons en binôme et que nous avons fait de cette passion un métier à plein temps, nous nous sommes davantage attachés l’un à l’autre. Je ne peux plus quitter mon épouse même un instant. Les moments de café seul ou avec les amis ont laissé place au rendez-vous avec elle, autour de notre art», nous a confié l’acrobate.
Voir son épouse et ses enfants construire des spectacles avec lui donne désormais la force d’y croire. «Bref, je les adore !», nous dit encore le père de famille, qui se produit désormais sur la place 9 avril de Tanger à un rythme quotidien. Le rendez-vous est fixé avec le public, après la prière du Asr et le retour des enfants de l’école. En effet, les deux parents tiennent à ce que leurs garçons poursuivent leurs études, de manière à ce que leur activité collective ne prenne pas le dessus sur le bon déroulement de leur scolarité. «Nous ne pouvons pas priver nos enfants de ce dont nous avons été privés. Malheureusement, ma femme et moi avons quitté l’école primaire mais eux, j’aimerais les voir réussir», a-t-il affirmé.
L’espace public reste plus accueillant
Bien que la famille reçoive plusieurs propositions pour se produire ailleurs, Outman Elbohssini refuse. «Beaucoup d’organisateurs d’évènements nous invitent, mais ils préconisent que mon épouse renonce à son port du foulard et étant la première concernée, elle n’est pas à l’aise cela, donc nous déclinons l’invitation. La rue, en revanche, nous a accueillis et acceptés tels que nous sommes. Par conséquent, je vais continuer à pratiquer cet art dans la rue, là où tout a commencé. Nous vivons avec ce que nous gagnons», souligne-t-il.
Pour autant, la performance de rue est parfois mise à mal, lorsqu’il arrive à la famille d’être questionnée par les autorités locales sur l’autorisation de leur activité dans l’espace public. «Cela ne nous empêche cependant pas de continuer à nous produire, d’autant que le public a développé un lien particulier avec nous», a souligné Outman. «On ne peut pas passer un jour sans divertir les riverains qui nous attendent. Un autre risque omniprésent est par ailleurs celui de la blessure, que dieu nous en préserve. J’y pense beaucoup, lorsque je porte un de mes fils ou que nous effectuons des mouvements un peu complexes, mais les choses se passent bien», nous confie-t-il encore.
Le père artiste aspire à développer ses spectacles, notamment à l’approche de la saison estivale qui se distingue par le grand afflux des touristes à Tanger. En janvier prochain, la famille participera par ailleurs à l’émission Arab’s Got Talents.