Malgré les promesses d’un «retour à la normale», les Marocains font toujours face à des refus massifs de leurs demandes de visas des représentations diplomatiques européennes, et particulièrement celles de la France. Un constat amer soulevé, cette semaine, par dix organisations de la société civile marocaine, dont l’Institut Prometheus pour la démocratie et les droits humains, la Ligue marocaine pour la défense des droits humains (LMDH), l’association Adala, le Forum marocain des jeunes journalistes (FMJJ) ainsi que l’Instance nationale de la jeunesse et de la démocratie (INJD), qui regroupe 16 jeunesses des partis politiques marocains.
Dans une lettre ouverte consultée par Yabiladi, intitulée «La politique des visas : Discrimination et traitement humiliant des demandeurs de visas marocains», les organisations tirent particulièrement sur la France et dressent un constat «accablant». La lettre évoque ainsi «le recours à des opérateurs privés qui se substituent à l’administration française, qui ne sont pas rémunérées par l’Etat français, mais bien par les postulants eux-mêmes», «l’inflation procédurale et la multiplication des catégories et sous-catégories organisées en cas, qui plombe les procédures de demande de visas en les rendant plus caduques, opaques et perméables à l’arnaque des services interposés pour le traitement des demandes». Elle critique le fait que «le paiement des frais de dossiers s’effectue lors du dépôt de la demande, au lieu d’être dus uniquement en cas de délivrance du visa», les «délais d’instruction qui restent extrêmement variables» et les délais d’attente «interminables».
Droit à la libre circulation, données personnelles et frais de visa non remboursables
Le collectif critique aussi les «refus standards pas assez justifiés», l’absence de mention des «voies et délais de recours» contre ces refus et des «vérifications répétées et outrancières des éléments fournis par les demandeurs ; une humiliation supplémentaire pour l’immense majorité de celles et ceux qui en font les démarches». Dans ce contexte, «le droit à la libre circulation est pris en otage», dénoncent les associations, qui pointent «une mesure de représailles régressive» et une «punition inadmissible», portant atteinte à ce droit humain essentiel.
«L’instance comptait publier une position par rapport à cette problématique, car beaucoup de citoyens marocains, surtout les jeunes, les militants politiques et associatifs, ont été affectés et on leur a refusé des demandes sans raisons. Il faut aussi pointer le devenir des documents déposés par les Marocains et le processus de leur destruction, d’autant plus qu’ils contiennent des informations à caractère personne», nous confie ce vendredi Jamal Touissi, président de l’INJD, qui rappelle que la CNDP a justement épinglé TLS.
«Pour nous, la question des frais de visa non remboursables pose aussi un problème. Si les bureaux de TLS sont déjà informés des quotas de visas à accorder et ceux à rejeter, pourquoi les citoyens doivent payer ? Si un visa est refusé car le dossier est incomplet, nous pouvons comprendre. Mais si ces dossiers ne sont rejetés que parce que le quota soit atteint, nous ne comprenons pas pourquoi les Marocains doivent être pénalisés pour cela.»
D’ailleurs, les ONG estiment dans leur lettre que «l’externalisation du traitement des dossiers des demandeurs de visas ne garantit pas totalement la protection et la sécurité des données personnelles et en particulier des identifiants biométriques».
Le président de l’INJD ajoute que «le droit de circuler est universel et ne doit pas être soumis à la surenchère et au jeu de pouvoir politique». «Avec le froid diplomatique avec la France, ces refus s’avèrent une sorte de vengeance vis-à-vis des citoyens marocains et des militants pour faire du forcing sur l’Etat marocain, ce que nous dénonçons», ajoute-t-il.
Un «retour à la normale» qui tarde à se concrétiser
Pour sa part, Adil Tchikito, président de la Ligue marocaine des droits humains (LMDH), assure qu’il existe «des centaines de demandes de soutien venant d’étudiants, de personnes souffrantes devant voyager pour se soigner à l’étranger ou encore de cas de travailleurs». «Il y a des personnes qui ont été empêchées pour des raisons futiles», regrette-t-il.
Notre interlocuteur rappelle que l’ONG a pris l’initiative de contacter plusieurs parties, dont le rapporteur spécial des Nations unies concerné par le droit de circulation, le Conseil des droits de l'Homme et l'ambassadeur de l’Union européenne au Maroc. «Jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune réponse», ajoute-t-il. L’ONG a coordonné aussi avec les organisations travaillant sur le dossier, y compris la Coalition marocaine des instances des droits de l'Homme (environ 20 ONG) qui a reçu environ 300 demandes de différentes catégories.
«Par l'intermédiaire de la Coalition, nous avons écrit à l’ambassadrice de l’UE pour dénoncer les comportements adoptés par les ambassades et qui restent contraires aux pactes internationaux et à la Déclaration universelle des droits de l'Homme, notamment la liberté de circulation. Dans sa réponse, nous avons perçu une sorte de condescendance, et une défense implicite des pays de l’UE, avec des arguments qui insistent sur la souveraineté des États sur leurs frontières. Ce n’est pourtant pas une question de souveraineté mais de droits qu’il faut respecter, surtout lorsqu'il s'agit de cas urgents», regrette-t-il encore.
«Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de changement. Il y a une déclaration de la ministre française des Affaires étrangères depuis Rabat, qui a promis que les choses vont revenir à la normale ainsi que le communiqué de l'ambassade de France, qui confirme qu'elle va essayer de serrer la vis sur les intermédiaires des visas. Mais sur le plan pratique, ces décisions n'ont eu aucun effet. Nous espérons voir le changement sur le terrain.»
La lettre des ONG demande, dans ce sens, aux autorités françaises et aux pays européens de «revenir sur ces mesures déshonorantes». Elles y dénoncent un «climat de régression supplémentaire, qui instaure des mesures de pression discriminatoires» et des «mesures punitives en échange de réadmissions sous contraintes». Les ONG appellent «toutes les forces démocratiques et militantes pour les droits humains au Maroc, en France, en Europe et partout dans le monde, à se mobiliser pour dénoncer cette politique».