«Le financement» et le «coût élevé» ont toujours été des arguments pour justifier les retards des projets au Maroc. Cette semaine à la Chambre des représentants, le ministre du Transport et de la logistique est revenu sur l’épineuse question de l’électrification de la ligne ferroviaire Fès-Oujda. Interrogé par les parlementaires qui ont pointé le retard enregistré pour la réalisation de ce projet, Mohammed Abdeljalil a choisi de prendre de vieux arguments.
Il a ainsi rappelé que l’Office national des chemins de fer (ONCF) a investi environ 1 milliard de dirhams pour la réhabilitation de cette ligne. Le ministre a cité le renouvellement de plus de 100 kilomètres de voie ferrée, la mise à niveau des tunnels sur 5 kilomètres, l’équipement en barrières automatiques de 39 passages et la rénovation des gares d’Oujda et de Béni Oukil.
S’agissant de l’électrification qui tarde à voir le jour, Mohammed Abdeljalil a évoqué le «coût élevé», de ce projet, qui expliquerait le retard enregistré. Le ministre a ajouté que l’étude préliminaire menée par l’ONCF sur l’électrification du tronçon Fès-Taza a révélé que le coût est estimé à 1,5 milliard de dirhams. Le ministre a ajouté que l’office dispose d’un programme complet pour poursuivre le développement du réseau ferroviaire national à long terme, y compris le projet d'électrification de la ligne Fès-Oujda. Un programme qui ambitionne de «couvrir tout le territoire national avec le réseau ferroviaire pour suivre le rythme de la croissance économique et les besoins anticipés de transport de voyageurs».
Une électrification qui tarde à voir le jour
Pour leur part, les élus ont plaidé pour la concrétisation du programme d'électrification de cette ligne ferroviaire, critiquant l'utilisation continue de trains à carburant sur cette ligne, qui se reflète dans la vitesse des trains, certains ne dépassant pas 20 kilomètres à l'heure sur certains tronçons. Les députés, dont ceux du groupe parlementaire de l’Istiqlal ont déploré que les habitants de la région de l’Oriental continuent de voyager à bord de «trains datant de l'Antiquité», pointant le contraste avec les autres destinations où le voyage se faire par train à grande vitesse (TGV).
Les remarques des députés parlementaires traduisent le ressenti de la population de la région de l’Oriental. En effet, ce projet de mise à niveau et d'électrification de la ligne ferroviaire Fès-Oujda figurait déjà dans le contrat programme (2010-2015) signé entre l'Etat et l'Office national des chemins de fer (ONCF).
D’ailleurs, en juin 2013, le projet avait même été cité parmi ceux lancés par le roi Mohammed VI à Oujda. Des projets «structurants concernent la mise à niveau et l’électrification de la ligne ferroviaire Fès-Oujda et la construction d’un pôle d’échanges, seconde phase du projet phare “Oujda Urba Pôle”», indiquait l’agence MAP. «Le projet de mise à niveau et d’électrification de la ligne ferroviaire Fès-Oujda consiste en le renouvellement de 100 Km de voie (30 pc de la ligne Fès-Oujda), l’électrification de la ligne Fès-Taza sur 120 Km (première étape), le renforcement de l’infrastructure (tunnels, ponts, bâtiments techniques), la construction des sous stations, et l’aménagement de la gare de Béni Oukil, pour accueillir les activités fret transférées de la gare d’Oujda», ajoute-t-elle. La même source notait que le coût global du projet «est de 900 millions de dirhams».
Le roi Mohammed VI lors du lancement de projets ferroviaires à Oujda, en juin 2013. / Ph. Ouassim Esmili - MAP
Des défis du passé et… du présent
Si ce projet d’électrification de la ligne ferroviaire Fès-Oujda est remis aux calendes grecques, c’est que même la création de cette ligne, à l’époque du Protectorat et sa mise en œuvre, avaient posé des soucis aux autorités françaises. Dans «Les chemins de fer marocains du protectorat français pendant l'entre-deux-guerres» publié dans la Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Jean-Claude Allain raconte comment l'armée française avait «installé entre 1911 et 1921 un premier réseau à voie étroite (0,60 m), pour les besoins de la pacification». «La relève du réseau militaire qui avait compris jusqu'à 2200 km de voie par une entreprise civile concessionnaire a été commencée pendant la Grande Guerre mais ne s'est concrétisée que dans la décennie 1920-1930», ajoute-t-il.
Ainsi, la volonté du Protectorat de créer une ligne «ligne impériale» trans-maghrébine, de Tunis à Casablanca, la concurrence de la zone sous protectorat espagnol ainsi que les découvertes minières près de Bouarfa pousseront à la réflexion sur une ligne Oujda-Maghnia-Nemours (Ghazaouet). Le débat est alors né entre politiques, responsables de la Compagnie des chemins de fer du Maroc (C.F.M.) et l’armée françaises. La question de financement avait été même au cœur du débat.
Finalement, une loi en mars 1928 est venue «autoriser un nouvel emprunt marocain d'équipement jusqu'à un plafond garanti de 819 millions de francs» et avait «affecté 120 millions pour couvrir la part du Maroc dans les dépenses de premier établissement, assumées contractuellement par la C.F.M. pour la construction de la ligne Oujda-Fès». L’auteur rapporte aussi qu’une «nouvelle concession est accordée à la C.F.M., en novembre 1929, qui prolonge jusqu'à Nemours la ligne concédée jusqu'à Oujda». Le même texte énonçait aussi que «les émissions obligataires que fera la C.F.M. pour le compte du Maroc n'auront que la garantie marocaine et non la double garantie française et marocaine». Une note de novembre 1933 indiquait, de son côté, que la C.F.M. et la C.M.O (Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental, crée en avril 1927 et filiale de la C.F.M. et de la Société des mines de Bou Arfa) avaient «acheté pour 45 millions de francs de matériel, cédé à ce titre, entre mars 1929 et novembre 1931».
La ligne reliant Fès à Oujda ne sera entièrement ouverte qu’en avril 1934. L’article ajoute surtout que malgré les craintes sur la rentabilité, «le réseau C.F.M. s'est finalement révélé une affaire rentable, plus que celle du Tanger-Fès, à tendance déficitaire». Jean-Claude Allain pointe enfin «la résistance des financiers à entreprendre les lignes, non rentables à leur point de vue, donc à abandonner, mais que l'autorité politique estime nécessaires (Oujda-Nemours-Bou Afra)» tandis que «ces lignes sont construites par ceux-là même qui y répugnaient et aux conditions du pouvoir politique».