Arrêtés 5 ans après les faits. Mustapha Him, promoteur immobilier, Redouane Khalfaoui, avocat, Lofti Benzakour et Belkacem Laghdaich ont enfin été arrêtés, mercredi soir, le 17 octobre, à Casablanca, pour faux et usage de faux et constitution de bande de malfaiteurs. Les 4 hommes auraient, grâce à de faux documents, détourné la succession d'un couple de riches Français nés au Maroc à leur bénéfice. En jeu, notamment : une magnifique maison de 3400m2, sise le boulevard de la Corniche à Casablanca, évaluée à 103 millions et nommée «Rêve de crabe».
«Mon oncle et ma tante étaient très riches et n’avaient pas d’enfants, tous les deux ont fait de moi leur héritier par testament au consulat de France, en 2004. Je pense qu’ils m’ont choisi parmi mes frères et sœurs parce que je leur avais dit que je voulais passer ma retraite au Maroc», se souvient Gérard Benitah, 71 ans, ancien cardiologue à Perpignan. Né à Fès, il est Français par sa confession juive, comme le reste de sa famille. «Je me souviens, que chaque été nous allions jouer les gardiens dans de belles villas à Mohamedia que leur propriétaires quittaient pour les vacances. Mon oncle et ma tante m’invitaient souvent à venir les voir à Casablanca, à cette époque», raconte-t-il. Gérard Bénitah profitait alors de leur magnifique villa avec piscine, en face du Tahiti Beach, qu’ils habitaient seuls.
Riches, seuls et affaiblis
En vieillissant, Olga Brissot devient aveugle et son mari est atteint de la maladie d’Alzheimer. Riches, seuls et affaiblis, ils deviennent des cibles faciles. Tout commence à la mort d’Olga Brissot, le 1er septembre 2007. Le 4 septembre, son neveu, venu s’occuper des funérailles, part au consulat français de Casablanca pour obtenir une procuration de George Brissot, son oncle, pour s’occuper de la succession de sa tante. Le 19 septembre il procède, au consulat de France, à l’ouverture du testament de sa tante : il hérite de tout.
5 jours plus tôt, le 14 septembre le docteur Lyoubi El Houssine rédige un certificat médical pour Georges Brissot qu’il déclare « inapte physiquement et psychiquement.» Aujourd’hui, Lyoubi El Houssine, se souvient : «Il était médecin, normalement j’aurais dû pouvoir échanger avec lui là-dessus, mais c’était impossible, dans la discussion, il passait du coq à l’âne.»
Pourtant, le 7 septembre 2007, une semaine auparavant, le même homme, George Brissot qui décèdera le 16 juin 2011, se serait rendu au cabinet de maître El Arbi El Moktafi, près de la gare Casa voyageur pour y faire un testament. «Je me souviens d’un homme tout à fait cohérent et bien physiquement. Il m’a dit qu’il était médecin, qu’il avait travaillé pas très loin du quartier Belvédère, à Hay Mohammadi», raconte Me El Arbi El Moktafi. Dans ce nouveau testament, Georges Brissot fait hériter de toute sa fortune Mustapha Him et El Housseine Elhouzi. Ce dernier n’est autre que le «serviteur» de longue date du couple, à qui en 2004, dans leurs testaments homologués par le consulat français, Olga et Georges lèguent tout deux seulement 100 000DH par l’intermédiaire de leur héritier direct Gérard Benitah.
«Rêve de crabe»
Rencontré quelques semaines avant son arrestation, Mustapha Him, assurait alors qu’il connaissait très bien le couple. «Je leur ai rendu beaucoup de services. Nous nous étions rencontrés par l’intermédiaire du boucher qui travaillait dans mon magasin en région parisienne», se souvenait-il. Le couple possédait une maison en France ainsi qu’un compte en banque richement garni. «En 2003 et 2004, ils ont failli se faire voler leur maison au Maroc et je les avais aidé, depuis nous avions continué à nous côtoyer», soutenait Mustapha Him.
Curieusement, Mustapha Him est également la personne qui procède, le 9 juin 2009, à la vente de leur maison «Rêve de crabe», par procuration, au nom de son ami Lofti Benzakour, à Belkacem Laghdaich, pour 10 millions de dirhams, alors que Georges Brissot, mis sous tutelle, y habite encore. Car, avant sa mort, Olga Brissot Brissort aurait vendu sa maison une première fois, avec procuration de son mari, le 12 février 2007, à Lofti Benzakour, pour 10 millions de dirhams.
Pour résumer, Olga Brissot aurait vendu pour une somme bien inférieure à celle qu’elle pouvait en demander une maison dans laquelle elle vivait et à continuer à vivre, ainsi que son mari jusqu’au jour de leur mort. Les 10 millions de dirhams qu’elle aurait dû recevoir de cette vente n’ont jamais été versés sur son compte.
36 millions de dirhams disparus
Cette maison, supposée vendue depuis février 2007, n’a, de plus, été réclamée, par Belkacem Laghdaich, à Gérard Benitah qui l’occupe depuis 2011, qu’après le décès de Georges Brissot. «Avec l’arrestation de toute la bande, le procès en civil intenté contre Gérard Bénitah pour récupérer la maison est suspendu», explique Leghlimi Messaoud, avocat de Gérard Bénitah, au Maroc.
Reste à expliquer l’arrestation de Me Redouanne Khalfaoui, avocat au barreau de Casablanca. En plus de la maison «Rêve de crabe», Olga Brissot détenait un compte avec son mari, à la Banque Populaire. En 2007, suite au décès de sa tante, Gérard Bénitah se rend à la banque. Là, «j’apprends avec stupeur que le compte à terme de 40 millions de dirhams a été ponctionné de 36 millions de dirhams par Me Khalfaoui», raconte Gérard Bénitah. L’avocat, qui a toujours refusé de se présenter aux convocations de la police, aurait expliqué avoir été mandé par Olga Brissot pour acheter un bien, sans jamais pouvoir avancer de procuration ni de preuve de l’achat d’un bien.
L’arrestation des 4 hommes intervient tardivement, alors que «Mustapha Him est impliqué dans au moins 6 autres affaires de spoliations immobilières» portées devant la justice marocaine à Casablanca, selon Viviane Sonnier, avocate française de Gérard Bénitah et saisie de plusieurs dossiers de spoliations au Maroc. Alaoui El Belghiti Abdallah, procureur général du roi auprès de la cour d'appel de Casablanca, a eu le dossier entre les mains pendant plusieurs années avant de le donner, mercredi 17 octobre à un juge d'instruction. Interrogé sur l’existence d’une mafia à Casablanca s’appropriant les biens immobiliers de riches étrangers installés à Casablanca et généralement sans héritiers directs au moment de leur décès, il a reconnu implicitement l’existence d’un «réseau».