- Yabiladi.com : Confronté à la problématique en RH, des opérateurs économiques «souffrent» et on assiste à une inflation de certains salaires.
- Saïd Hanchane : Je ne sais pas ce que vous appelez inflation des salaires. Je pense que les entreprises marocaines sont bien traitées par leurs salariés, quel paradoxe ! Pour répondre rapidement sans rentrer dans des détails qui risquent de heurter les lecteurs, je dirais que les salaires au Maroc sont en deçà, et pour les larges couches de la société, de ce qu’il convient d’appeler des moyens dignes d’existence, il y a des efforts considérables à faire. Les résultas de la théorie d’Akerlof, un prix Nobel Post-Keynésien, disaient qu’un salarié non « salarialement » motivé a des niveaux de productivité relativement plus faibles que les salariés qui sont dans ce cas. Vous voyez, la question de la faiblesse des salaires n’est pas uniquement un seul problème de justice sociale c’est aussi un problème central qu’il faut résoudre si on veut réellement parler, et sans langue de bois, d’une stratégie de croissance et de développement viable. Pour revenir à votre question, je dirais que jusqu’au début des années quatre-vingt, le Maroc a connu une explosion du nombre d’élèves scolarisés. Cette massification considérable ne doit cependant pas faire oublier la décélération des années 1980, suite aux effets des plans d’ajustement structurel et de restriction des budgets publics. Ces restrictions imparties au Maroc ne lui ont pas permis de généraliser sa scolarisation au premier niveau, contrairement à l’Algérie et à la Tunisie (Unesco 2003), et le taux de déperdition au niveau de l’enseignement fondamental y est, par exemple de l’ordre de 40%. Plus généralement la baisse de la part consacrée jusque là aux dépenses éducatives dans le PIB a entraîné un affaiblissement de la capacité de l’Etat à financer la croissance démographique scolaire, et conjointement une détérioration de la qualité des conditions d’enseignement.
Dès la fin des années 1990, la banque mondiale a recommandé de mettre l’accent sur la formation de base, en augmentant l’effort public dans l’enseignement primaire, d’accroître l’efficacité interne de l’enseignement, en améliorant la qualité et en diminuant les coûts d’éducation et de diversifier les sources de financement aux niveaux secondaires et universitaires.
- Ces orientations se sont traduites par un effort qui a surtout porté sur l’alphabétisation et la scolarisation de base et de…masse.
- Au Maroc, comme dans l’ensemble des pays en voie de développement (PVD), l’orientation de l’effort public vers une éducation de masse a été, certes, socialement utile, mais elle a été faite au dépend de la qualité de l’enseignement. La crise des systèmes éducatifs maghrébins, par exemple, notamment l’Algérie et le Maroc, est manifeste par leur faible contribution à la croissance et au développement. Pourtant, dès 1983, certains travaux ont attiré l’attention sur le fait que la qualité des études primaires est supérieure à la rentabilité associée à l’augmentation des effectifs dans le primaire dans les pays en voie de développement de façon générale.
Dans ces conditions, les PVD et le Maroc avec ne peuvent que faiblement bénéficier à long terme des retombées de l’ouverture commerciale sur la croissance de leurs économies. Plus particulièrement, les IDE qui s’installent dans ces pays cherchent généralement un avantage comparatif par le Dumping social qui structure leurs systèmes productifs.
- Comment passer d’une perspective quantitative, axée sur les flux de scolarisés, à une perspective plus qualitative ?
- La « professionnalisation de l’enseignement » peut être vue comme une réponse aux difficultés engendrées par une scolarisation de masse au sein du cycle collégial ou moyen et au niveau de l’enseignement secondaire. Il s’agit de rapprocher l’école des besoins de l’économie, notamment les entreprises privées, en vue d’apporter les qualifications nécessaires.
Pour répondre aux attentes sociales autant qu’aux incitations des organismes internationaux, le Maroc a impulsé une série de réformes éducatives d’ensemble comme la Charte nationale de l’éducation et de la formation adoptée en 2000 au Maroc.
- Comment sortir de l’inadéquation éducation/formation/emploi ?
- Il faut sortir d’un système de formation axé sur l’offre, qui est l’une des caractéristiques structurelles du sous-développement, et s’orienter peu à peu vers des politiques de formation fondées sur la qualification et non sur l’emploi. Il s’agit d’inventer, selon nos spécificités, un système d’éducation et de formation de type coopératif, en bénéficiant en cela de l’expérience allemande, suisse ou autrichienne. Un système structuré par une forte coopération entre organisations patronales, Etat et syndicats de salariés.
Pour cela, il faut au préalable nous mettre d’accord sur les règles d’un nouveau contrat social et consolider une démocratie citoyenne où tous les acteurs coopèrent en étant profondément convaincus par ses bienfaits pour le développement et la paix sociale, l'épanouissement et le bien être de toutes les couches sociales du pays.
Pour aller dans cette direction, il n'y a pas de solution scientifiquement rigoureuse et politiquement acceptable que celle d’un débat public.