Une note confidentielle du renseignement territorial français estime que Jean-Luc Mélenchon aurait bénéficié d’un «vote musulman», lors de la précédente élection présidentielle. Révélé récemment par Europe 1, le document indique que le chef de file de La France Insoumise (LFI) a eu des prises de position saluées et relayées par «de nombreux influenceurs et activistes islamistes au cours de la campagne». Selon le média, la note a été adressée à quelques hauts fonctionnaires, des membres du gouvernement et l’Élysée, trois semaines après le second tour du scrutin.
Rédigée en mai dernier par le Service central du renseignement territorial (SCRT), la note de 12 pages porte surtout sur «les influences islamistes dans le cadre du processus démocratique». Il s’agit de comprendre comment près de 70% des électeurs qui se considèrent musulmans ont voté pour Mélenchon au premier tour, sur la base d’une étude de l’IFOP pour La Croix. Le document pointe notamment un «contexte pré-électoral» où le débat sur l’islam a été «quasi-permanent», favorisant «l’expression d’idées hostiles à l’islam et aux musulmans».
Si la note se focalise particulièrement sur le vote musulman et l’associe à Mélenchon, les résultats du second tour de l’élection présidentielle française, dimanche 24 avril, contredisent l’hypothèse d’un vote communautaire. L’IFOP indique 85% des musulmans votants ont choisi le président Emmanuel Macron pour un second mandat, tandis que 15% ont choisi le RN. Abstraction faite de la couleur politique des candidats, l’objectif principal a ainsi été de faire barrage à l’extrême droite, y compris chez les électeurs ne se disant pas de religion musulmane.
Dans ce sens, l’étude a montré que les électeurs catholiques restent les plus nombreux à s’être déplacés vers les bureaux de vote (79%). Ils sont suivis des protestants (70%) et de ceux ne s’identifiant à aucune religion (66%), les musulmans représentant 58%.
Des journalistes et des associatifs cités par les renseignements
Le contexte général de ces élections aurait «suscité la lassitude mais aussi la colère de fidèles s’estimant stigmatisés», retient la note. Sur les réseaux sociaux, ceci s’est traduit par une multiplication d’appels à voter pour Mélenchon. Présentée ainsi par les renseignements comme étant «pro-Erdogan», la journaliste franco-marocaine Feïza Ben Mohamed est citée dans le document pour avoir «publié une série de tweets justifiant son choix de voter pour Jean-Luc-Mélenchon, qu’elle considère comme le seul candidat crédible n’ayant pas pour ambition de se servir des musulmans pour faire oublier les problèmes de notre pays».
L’agence de presse turque Anadolu, pour laquelle la concernée travaille depuis le bureau basé dans l’Hexagone, a analysé que cette dernière était taxée comme étant proche du régime d’Ankara «du seul fait qu’elle travaille pour une agence d’information internationale» domiciliée en Turquie. «C’est devenu une passion de mettre des cibles dans le dos des gens… Après avoir été qualifiée d’islamiste par le CIPDR, voilà que Europe1 me désigne parmi les «influenceurs islamistes» et «pro-Erdogan» en reprenant une note du renseignement sans aucune précaution», a déploré la journaliste. En juillet dernier, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a ciblé sur les réseaux sociaux plusieurs personnalités françaises connues pour leur lutte contre l’islamophobie, dont Feïza Ben Mohamed, dans le contexte de l’affaire Iquioussen. Après quoi, elle a subi une vague de harcèlement et d’insultes.
D’autres noms cités dans la note sont ceux de responsables associatifs musulmans français, ainsi que des journalistes. On y trouve notamment l’avocat Rafik Chekkat, membre de l’association Agir contre l’islamophobie (ACI), mais aussi la journaliste Siham Assbague. Tous deux sont bizaremment décrits comme «islamistes» sur la simple base de leurs positions contre l’islamophobie ou le colonialisme. La note fait référence aussi à Vincent Souleymane, Hani Ramadan et Farid Slim, décrits pour leur part comme des «prédicateurs» ou «imams» d’obédience «frériste».
Un député questionne le ministère de l’Intérieur
Au lendemain sur les révélations concernant la note confidentielle, Antoine Léaument, député de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) a questionné le ministre français de l’Intérieur. Sous les couleurs de LFI en Essonne, responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon et de son parti, l’élu s’est interrogé sur la diffusion du document, tout en déplorant «l’absurdité d’une telle note au regard des travaux de sociologie politiques les plus récents qui discréditent totalement l’idée qu’il puisse exister un vote religieux».
Pour Antoine Léaument, la publication d’une telle note et sa diffusion dans les médias «posent plusieurs questions». «Qui a commandé cette note au SCRT et avec quel objectif ? On voit mal, en effet, comment une note sur ce sujet aurait pu être d’une quelconque utilité pour assurer la sécurité du pays», a écrit le député. Selon lui, «la seule utilité» serait «purement politique : faire fuiter cette note, afin qu’elle soit utilisée pour s’en prendre à un parti politique -LFI- ce qui est effectivement arrivé».
Alors qu’Europe 1 affirme que le document a été adressé exclusivement à une poignée de hauts responsables, le député NUPES s’interroge également sur «comment se fait-il que cette note ait pu fuiter dans la presse» et si le ministre de l’Intérieur compte «agir pour trouver et sanctionner le ou les responsables de cette fuite».
«M. le ministre peut-il indiquer à M. le député s’il existe d’autres notes de cette nature concernant d’autres mouvement religieux et d’autres partis politiques et, si oui, à la fois préciser lesquels et les objectifs associés à la production de telles notes par les services de renseignement ?», s’interroge encore Léaument. Il a demandé la possibilité que ladite note soit transmise à LFI.