Le Maroc et d'autres pays d'Afrique du Nord sont plongés dans un processus de développement rapide qui conduit à la croissance socio-économique et à l'amélioration de la qualité de vie de leur population. Des processus qui se produisent généralement sans une planification efficace pour l’environnement et la biodiversité, générant une dégradation indésirable des écosystèmes. En témoigne l’extinction de certaines espèces alors que d’autres font face à un déclin inévitable.
La loutre eurasienne (Lutra lutra) en Afrique du Nord constitue un modèle pour analyser les déterminants naturels et anthropiques de la présence des espèces dans la limite aride de son aire de répartition. Mammifère carnivore semi-aquatique qui se nourrit entièrement des systèmes aquatiques, elle est largement répartie, couvrant la majeure partie du Paléarctique et une partie des royaumes biogéographiques indo-malais. L’Afrique du Nord constitue même la limite sud-ouest de sa répartition mondiale et comprend certaines des zones les plus sèches où l’espèce est présente.
Pour se pencher sur les facteurs naturels et anthropiques associés à la présence de la loutre en Afrique du Nord, des chercheurs espagnols et allemands se sont intéressés à la loutre en Afrique du Nord et particulièrement au Maroc. Ce dernier a été considéré car il s’agit d’une zone «où l’aridité limite la disponibilité d’habitats convenables et où les pressions associées au développement humain rapide augmentent». Ils ont ainsi analysé, dans une étude récente, les corrélats environnementaux de l’occurrence de la loutre au niveau du drainage (soit la superficie du terrain qui recueille l’eau qui se déverse dans un site particulier) et des échelles locales (c’est-à-dire la zone environnante d’un tronçon de rivière).
Les quatre chercheurs ont recueilli des données sur la présence et les absences de loutres dans 270 sites répartis dans 34 bassins fluviaux marocains, visités entre avril 2011 et avril 2013. Cet ensemble de données a compris 90 sites d’une étude précédente ainsi que 180 sites supplémentaires. Ces sites ont été sélectionnés a priori dans le but de couvrir la plus grande partie possible du réseau fluvial du royaume et d’être distants d’au moins 30 km pour effectuer un relevé uniforme de l’ensemble de la région. Finalement, des loutres ont été détectées dans 141 des 270 sites, le long d’un large éventail de conditions environnementales.
Les loutres en Afrique du Nord sérieusement menacées
L’étude montre ainsi que les pressions humaines limitent directement la distribution de la loutre au Maroc, avec un impact sur la présence des espèces «comparable» à celui des précipitations. Toutefois, «la persistance de l'espèce dans certaines terres dominées par l'agriculture indique également des opportunités de concilier la conservation de l’espèce dans des paysages dominés par l'homme, comme cela s'est déjà produit en Europe», se félicitent-ils.
La probabilité d’occurrence de la loutre était ainsi «plus élevée à mesure que la rugosité du terrain augmentait et à des altitudes intermédiaires, et plus faible dans les bassins versants exposés à des pressions anthropiques plus élevées». «Les loutres avaient tendance à être rares à des altitudes plus élevées et dans les régions où les précipitations annuelles étaient moins abondantes, probablement en raison des limites des ressources trophiques et des fluctuations importantes du débit de l’eau, respectivement», expliquent-ils.
Une loutre eurasienne. / Dick Klees - Studio Wolverine
L’étude considère que ces facteurs «devraient avertir des conséquences potentielles des changements accélérés en cours au Maroc, si des mesures d’atténuation ne sont pas mises en place». De plus, bien qu’aucun lien direct entre la répartition des terres agricoles et la présence de loutres n’ait été établi, l’étude note que «l’agriculture exigeante en eau peut encore sérieusement mettre en péril la loutre et d’autres espèces dépendantes de l’eau douce au Maroc».
Les quatre chercheurs ont rappelé qu’une «protection accrue des espèces et une gestion durable des rivières, notamment en excluant l'utilisation de pesticides qui mettent en péril les écosystèmes d'eau douce, se sont déjà révélées efficaces pour inverser le déclin des loutres et des communautés écologiques d'eau douce associées dans d'autres pays». «Avec des niveaux croissants d'urbanisation et d'industrialisation dans un pays en développement rapide, nos résultats suggèrent une menace sérieuse et généralisée pour les populations de loutres en Afrique du Nord, où les conditions d'aridité imposent déjà une forte contrainte sur la distribution naturelle» de l’espèce, concluent-ils.