Les bruits de bottes à la frontière entre l’Ukraine et la Russie bénéficieront-ils au renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui passait via le Maroc, fermé depuis le 31 octobre ? Le think tank «European Council on Foreign Relations» (ECFR) constate, dans un rapport publié le 10 février, que le conflit entre Kiev et Moscou constitue un sérieux revers pour la politique étrangère du président américain Joe Biden de s’intéresser davantage à l'Asie.
Le centre admet, avec réserve, que cette crise ouverte avec ses conséquences sur les cours du gaz et du pétrole sur le marché mondial, offre une réelle opportunité pour la diplomatie des pays de l’Union européenne de mener «une médiation entre l'Algérie et le Maroc pour ouvrir des gazoducs énergétiques».
Le think tank est convaincu que «l’Afrique du Nord représente une autre solution potentielle aux problèmes énergétiques de l’Europe, compte tenu des positions de l’Algérie et de la Libye en tant que possibles fournisseurs alternatifs de gaz» à la Russie. Néanmoins, ce pari sur le Maghreb serait porteur de «complications importantes», notant que «la politique désordonnée de l'Afrique du Nord pourrait menacer la stabilité des approvisionnements» en Europe.
Biden s'enquiert des productions gazières de l’Algérie
Le ECFR souligne que «l'escalade des tensions entre Alger et Rabat a déjà stoppé les exportations d'énergie via le gazoduc qui relie l'Algérie à l'Espagne. L'animosité de longue date entre les parties offre peu d'espoir d'une résolution rapide – même si la crise ukrainienne pourrait inciter les Européens à intensifier leurs efforts pour contenir le différend» maroco-algérien.
Il semble que le président des Etats-Unis ne partage pas les réserves de l'«European Council on Foreign Relations». Dans sa quête de nouveaux producteurs de gaz à même de couvrir les besoins de l’Europe, l’administration Biden s’est enquise auprès de compagnies internationales opérant en Algérie,(telles ENI, Total, Equinor), sur leurs capacités de jouer une solution de rechange à la Russie, rapporte l’agence Reuters.
Dans sa quête d’alternatives à la Russie, Biden peut déjà compter sur le soutien du Qatar, 4ème producteur mondial du gaz derrière les Etats-Unis, la Russie et l’Iran. En échange de cet appui, l’émir Tamim, reçu avec les honneurs le 31 janvier à la Maison blanche, est rentré à Doha avec dans la poche le précieux titre d’allié majeur des Etats-Unis hors OTAN, ce qui constitue un gage de stabilité pour l’émirat.
Au même titre que le Qatar, le conflit entre la Russie et l’Ukraine offre également à l’Algérie une opportunité d’arracher une concession des Etats-Unis en contrepartie de rouvrir le robinet de ses exportations gazière, estimées annuellement à 20 milliards de m3, via le gazoduc Maghreb-Europe. Depuis le 31 octobre, date de la fermeture du GME, le Medgaz, reliant directement l’Espagne, peine à atteindre les 10 milliards m3 alors que le volume exporté par le pipeline vers l’Italie, via la Tunisie, oscille entre 20 à 30 milliards m3 par an.
Outre la question des capacités de production, reste à savoir si le pouvoir algérien est-il prêt à donner un coup de couteau dans le dos de la Russie, son principal allié, et par la même occasion offrir un cadeau au Maroc ? Un dilemme cornélien pour l’Algérie.
Pour rappel, le ministère espagnol de la Transition écologique a confirmé, le mercredi 2 février, avoir répondu «positivement» à la demande du Maroc «de le soutenir à garantir sa sécurité énergétique sur la base des relations commerciales, comme cela devrait être fait avec tout autre partenaire ou voisin». Le royaume souhaite bénéficier des installations espagnoles de regazéification du gaz naturel liquéfié (GNL), acheté par Rabat et qui sera ensuite acheminé depuis l'Espagne vers le royaume via le gazoduc Maghreb-Europe.