Le 4 août 2012 marque la création d'un nouveau concept dans les relations diplomatiques maroco-algériennes : «la diplomatie du chaâbi». En effet, alors qu’elle animait un grand spectacle au théâtre de verdure d’Oran samedi soir, la chanteuse marocaine Zina Daoudia a oser appeler à l’ouverture des frontières algéro-marocaines, une «offense» très mal accueillie par la presse algérienne. En témoigne la dernière tribune culturelle du quotidien «Expression ».
Dans un billet publié hier, le journal algérien s’attaque en effet à la chanteuse chaâbi pour avoir «voulu épauler, sans le dire explicitement, les politiciens marocains qui ont échoué quant à convaincre leurs homologues algériens autour de la question de l'ouverture des frontières algéro-marocaines». Le motif essentiel des récriminations du journal tient à l’appel du cœur lancé par Daoudia à son public oranais l’exhortant à communier avec elle pour la réouverture des frontières maroco-algériennes.
«Ouvrez les frontières ya Allah !»
«Que celui qui désire l'ouverture des frontières allume son portable et l’exhibe», aurait-elle scandée samedi soir, du haut des planches du théâtre de verdure Hasni-Chakroune, à Oran, où elle était en représentation pour la troisième fois cette année. S’exécutant aussitôt, les centaines de personnes présentes au concert auraient alors brandi leurs portables en l’air en signe d’adhésion au message solennel que la chanteuse venait de lancer. Un message en forme de cri du cœur ponctué par des «Ouvrez les frontières ya Allah!» qu’elle aurait martelé à l’envie, selon le journal.
«Passant comme une lettre à la poste» auprès de son public, le message de Daoudia n’en est pas moins resté en travers de la gorge du journaliste de l'Expression. Ce dernier se demande aujourd’hui «quelle mouche a piqué la chanteuse marocaine au point d'occulter le pouvoir des politiciens à qui revient la décision d'ouvrir ou de continuer dans la fermeture des frontières ?»
Les paradoxes du journal
Pour lui, Zina Daoudia a tout bonnement «raté une occasion de se taire, comme elle le faisait auparavant» ; une critique cinglante qui rappelle à la concernée – si tant est qu’elle veuille le savoir – que seule sa voix de chanteuse compte, pas celle de la militante. Notons à ce propos le curieux paradoxe d’une presse algérienne qui d’un côté, condamne la chanteuse de s’être épanchée sur la question des frontières maroco-algériennes, alors que de l’autre, elle reconnait volontiers n’avoir eût de «cesse de la harceler en vue de lui arracher une quelconque déclaration d'ordre politique, notamment en ce qui concerne la question des frontières.»
Menue incohérence mise à l’écart, pour l’Expression, le «glissement soudain du chant à la politique» de la chanteuse «suit une démarche sournoise», «la finalité» étant ici «de prendre à témoin l'opinion publique, tout en stigmatisant implicitement le pouvoir algérien en lui imputant sur le sol algérien même, la fermeture qui se poursuit, des frontières».
Feu de paille ou susceptibilités réellement froissées ?
Entre feu de paille et susceptibilités à fleur de peau, difficile de savoir si la prise de position officielle de Daoudia vexe réellement Alger ou bien si ce n’est que le fait d'un journaliste pyromane qui se sert de cette affaire pour rejeter de l’huile sur le feu des tensions toujours vivaces entre le Maroc et l’Algérie. Il va sans dire que la question des frontières – fermées sur ordre du pouvoir algérien en 1994 après que les responsables marocains aient décidé d’instaurer un visa pour les Algériens suite à l'attentat de Marrakech – continue de souffler le chaud et le froid sur les relations diplomatiques entre les deux pays.
Malgré la sensibilité du sujet, la chanteuse chaâbi marocaine, qui prenait pour la première fois position politiquement samedi soir, ne compte pas en rester là. «Mon prochain album contiendra une chanson dédiée exclusivement aux frontières» a-t-elle déclaré, précisant que celle-ci s’intitulerait «Lilah, Ouvrez les frontières’». Peut-être pas un tube en devenir mais certainement de quoi donner matière à polémique aux amateurs du genre.