La ville de Chefchaouen est l'une des destinations touristiques les plus visitées au Maroc. Nichée sur une montagne elle regorge de monuments archéologiques et historiques. Parmi ces monuments bien connus, que la plupart des visiteurs de la ville ne manquent pas l'occasion de visiter, une mosquée particulière, située sur une colline surplombant la ville bleue.
La mosquée Bouzafar a été construite avec une architecture qui la distingue du reste des mosquées de la ville. Elle ressemble plus à une église avec son minaret. Bien qu’il n’y ait pas de date précise pour sa construction, ceux qui s'intéressent à l'histoire de la ville s'accordent sur le fait qu'elle a été créée pendant la phase de colonisation espagnole de la ville. Dans son livre «L'histoire de Chefchaouen», Taha ben Farouk Raissouni a indiqué que «la mosquée a été construite après l'entrée du deuxième et dernier Espagnol dans la ville de Chefchaouen à partir de 1926 (la date la plus probable de sa création est entre 1928 et 1931) par ordre de l'officier Ferardo Cabas, gouverneur de Chefchaouen, après l'avoir pris d'assaut le 10 août 1926, et avec l'accomplissement des autorités de protection».
D’ailleurs, même le nom de la mosquée reste particulier, Bouzafar désignant, dans le dialecte local, un homme moustachu. Certains récits historiques indiquent, en effet, que le responsable militaire espagnol qui a construit la mosquée avait une moustache épaisse, alors que d'autres avancent qu’elle a porté le nom de l'ingénieur qui a supervisé la construction ou encore le propriétaire du terrain. Dans d’autres récits, des historiens expliquent que Bouzafar serait une «déformation» de «Abou Al Asafeer» (Père des oiseaux), le surnom d’un poète andalou ayant habité les lieux et qui disposait de différents oiseaux et de nombreux vergers.
La mosquée «Sidi Walo», boycottée par les fidèles
L'historien Taha ben Farouk Raissouni raconte que les autorités espagnoles du protectorat ont construit cet édifice religieux avec la volonté de soutenir son emprise sur la ville avec des installations administratives, éducatives et religieuses modernes, le but étant de séduire la population et de gagner sa faveur.
Pour sa part, l'artiste plasticien Ibn Chefchaouen Mohammad Lakhzoum, a confié que la mosquée a été construite dans le but d'«attirer les résistants qui s’étaient retranchés dans la région montagneuse afin de les contrôler et les surveiller». Ce qui renforce ce récit, c'est que la mosquée surplombe toute la ville et facilite ainsi son observation. Les historiens s'accordent à dire qu’il n’a jamais été prouvé qu'une prière ait eu lieu dans la mosquée, et qu'elle n’a accueilli aucun rituel religieux à l'exception de l'appel à la prière.
Dans le livre sur l'histoire de Chefchaouen, il est indiqué que les deux faqihs Ezzennan et après lui, Al-Sharif Alami Al-Ghrouzmi, avaient assumé la fonction de muezzins pour appeler du haut du minaret, les fidèles à la prière du Dohr et du Aasr.
Le chercheur en histoire de Chefchaouen, Jamal Eddine Raissouni, a expliqué que «la population ne comprenait pas comment un dirigeant espagnol pouvait construire une mosquée, et la considérait comme une des anomalies de l'époque». «Les habitants de la ville voyaient le dirigeant militaire comme un usurpateur de terres et un occupant, alors comment peuvent-ils l'accompagner dans quelque chose qu'il a fait, d'autant plus qu'il s'agit d'une question religieuse ?»
Taha Raissouni fait remarquer, pour sa part, que les Espagnols résidant à Chefchaouen avaient surnommé la mosquée «Sidi Walo» (Rien) à cause du boycott explicite et de son rejet par les habitants de Chefchaouen.
La mosquée Bouzafar en ruine / DR
Des sources médiatiques ont précisé qu’en 2007, le conseil municipal de Chefchaouen a restauré la mosquée, ainsi que le pavage de la route menant vers elle, ce qui a rendu l'accès plus facile, et l’a transformée en destination pour les touristes souhaitant voir la ville bleue d'en haut, ou documenter le coucher de soleil.