Votre plainte auprès du ministère public sur l’utilisation de l’agent dans les campagnes a-t-elle eu des suites ?
Pour l’heure et à notre connaissance, le Parquet n’a pas encore donné de suite à notre plainte. Il n’a pas encore interagi avec la réactivité requise, à la suite des éléments exposés dans notre courrier, en date du 31 août. Nous avons saisi la présidence du ministère public et porté plainte au sujet de l’utilisation de l’argent dans le cadre des campagnes électorales, vu notre rôle en tant qu’Association marocaine de protection des biens publics et considérant que cet usage, visant à «acheter» des votes, est l’une des illustrations de la corruption politique. De fait, c’est une manière d’influencer la volonté des citoyens et d’accentuer l’opacité du processus électoral, en portant atteinte à la transparence de son déroulement et à la crédibilité de ses résultats.
Afin de contrer ces usages, il est nécessaire que le ministère public intervienne. Rappelons que ces agissements sont criminalisés par la loi, conformément aux articles 100, 101, 102 et 103 du Code électoral. Parmi les faits punis en vertu de ces dispositions, on retrouve justement l’utilisation de l’argent dans le dessein d’influencer le choix libre des électeurs. Dans notre lettre, nous avons appelé le Parquet à donner suite à notre plainte et à veiller à faire respecter la loi, en enclenchant une enquête pour rétablir la justice et garantir la concurrence digne entre les différents candidats aux élections du 8 septembre.
En quoi s’illustrent les usages de l’argent dans l’influence des votes, à partir de ce que vous avez pu observer en tant qu’AMPBP ?
Nous avons basé notre plainte sur les déclarations de représentants de partis politiques, qui soutiennent l’existence large de cette pratique, de même que des vidéos ayant circulé sur les réseaux sociaux et qui montrent des distributions d’argent, dans le cadre des campagnes électorales de certains candidats. Nous avons demandé que l’enquête donne à la justice la possibilité d’auditionner des candidats et des responsables de partis, afin qu’ils fournissent les preuves de ce qu’ils avancent et qu’ils puissent donner au parquet les informations nécessaires aux investigations approfondies.
Nous estimons que ce point est important, surtout qu’il est difficile, dans beaucoup de cas, de prouver ce type de corruption. Nous espérons que le ministère public fasse usage de tout ce que lui permettent les lois et les procédures pour pouvoir établir ces faits, et tenir les responsables à rendre des comptes à la justice.
Dans les déclarations publiques, la remarque qui revient est que l’«achat» des voix connaît une ampleur «sans précédent». Qu’est-ce qui a changé, selon vous, comparé aux scrutins passés ?
Je souhaiterais souligner que le phénomène n’est pas nouveau. Il a accompagné toutes les élections que le Maroc a connues jusque-là. Mais dans le cadre des élections de 2021, les déclarations médiatiques émanant des partis politiques eux-mêmes se sont amplifiées, pour deux considérations à notre avis. La première est que l’article 47 de la Constitution de 2011 prévoit que le chef du gouvernement est choisi au sein de la formation arrivée en tête des législatives et que c’est à lui de constituer l’exécutif. Cette disposition n’existait pas avant, mais une fois constitutionnalisée, elle a grandement ouvert l’appétit des formations en course pour les élections. Chacune fait un discours de plus en plus acerbe en voulant affronter ses adversaires politiques, plus souvent taxés de faire mauvais usage de l’argent en campagne.
Le deuxième élément est que la formation à la tête du gouvernement sortant – le Parti de la justice et du développement – a le sentiment d’avoir perdu beaucoup de sa popularité auprès des électeurs. Ses décideurs, et cela n’engage qu’eux, estiment qu’il y a des tentatives pour limiter leur rôle dans le processus politique. Ils tendent donc vers un discours victimaire et de plus en plus accusateur des autres formations politiques considérées comme adversaires directs. La question de l’argent et des élections revient, dans ce discours, de manière amplifiée davantage, comme une façon de vouloir conserver une place dans la gestion de la vie politique et de ne pas se replacer dans l’opposition.
Vous avez récemment souligné que les soupçons de corruption n’ont pas empêché des partis de renouveler leur confiance en les concernés, dont on retrouve la candidature aux élections de mercredi. La loi ne permet pas d’y poser des limites ?
Malheureusement, nous n’avons pas encore au Maroc un texte de loi qui limite l’action de membres de partis, dans le cadre du processus électoral, si les concernés sont soupçonnés de faits de corruption ou de mauvais usage des deniers publics, même si des rapports officiels peuvent établir et soutenir l’existence des faits. La loi part du principe qu’il est indispensable qu’il y ait une décision définitive de la justice, reconnaissant le mis en cause coupable, afin de lui interdire de se présenter aux élections. En termes de lutte contre la corruption, nous trouvons que cette mesure à elle seule n’est pas assez convaincante. Nous estimons au sein de l’AMPBP que l’exercice politique implique un référentiel et des valeurs éthiques, considérant le rôle important et la responsabilité politique des partis dans la moralisation de la vie publique.
Il est donc obligatoire, pour nous, que l’exercice de la politique aille de paire avec des exigences morales liées à l’intégrité et à la probité de ses acteurs. Les partis sont les premiers à devoir donner l’exemple en matière de lutte contre la corruption politique et la lutte contre l’atteinte à la crédibilité de l’exercice politique. Malheureusement, très peu de formations tiennent compte de l’éthique de leurs candidats, même lorsque ces derniers ont déjà fait l’objet de mesure judiciaires ou que leurs usages ont été pointés du doigt par des institutions officielles.
A notre sens, il fallait que les partis politiques ne présentent pas ces gens-là en tant que candidats. En les replaçant dans la course aux élections, ils ne donnent pas le bon exemple aux citoyens, même qu’ils corroborent l’adage voulant que l’exercice de la politique ne diffère pas du fait d’exercer un métier comme le commerce. Cela accentue le manque de confiance entre l’acteur politique par le citoyen, ce qui entretient la continuité de la rente et de la corruption politiques, au lieu de hisser la gestion politique au rang d’un service public noble et d’intérêt commun.