Le 29 septembre 2020, la Cour de cassation a refusé la filiation parentale à une enfant née hors-mariage en 2014, décrétant ainsi la nullité d’une jurisprudence rendue en 2017 par le tribunal de première instance de Tanger. Cette décision définitive appuye celle de la Cour d’appel de la ville. Mais c’est seulement depuis quelques jours que l’avis de la haute juridiction a fait parler, après que des organisations de la société civile s’en sont saisies.
L’annulation d’un jugement inédit
Ce mercredi, l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a exprimé ses regrets que l’enfance concernée soit désormais considérée «illégitime», non-apparentée à son père biologique et liée d’aucune filiation paternelle. Pourtant, le tribunal de première instance de Tanger a reconnu cette filiation, preuves juridiques et test ADN à l’appui, constituant une première dans l’histoire de la justice marocaine. De plus, le concerné a été condamné à verser une indemnité de 100 000 dirhams à la mère. La Cour d’appel a annulé cette décision, ce qui a poussé la mère à saisir la Cour de cassation.
Dans un communiqué parvenu à Yabiladi, l’ADFM a estimé que cette décision définitive se fondait sur «une violation flagrante de la Constitution marocaine, qui reconnaît la primauté des conventions internationales dans son préambule, et une grave violation des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant, que la constitution appuie à travers son article 32».
Plutôt que de traiter des problèmes familiaux à travers «un droit compatible à l’évolution de la société et en phase avec les engagements internationaux du Maroc en matière de droits humains», la décision de la Cour de cassation constitue «une interprétation rétrograde et une mise en œuvre du Code de la famille qui détourne ce dernier de son esprit et de ses objectifs», selon l’ADFM. Celle-ci dénonce notamment «le recours à des textes jurisprudentiels de fiqh qui s’alignent sur école traditionnaliste, avec une référence fondamentaliste sinon une orthodoxie remontant à des époques révolues et qui porte un coup aux faits scientifiques et au tests ADN», effectué dans le temps à la demande des juges en première instance.
Une discrimination des enfants basée sur les circonstances de leur naissance
L’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC) a également dénoncé ce qu’elle a considéré un retour en arrière, voyant même dans le registre de langue de la décision rendue «un certain nombre de classifications racistes» visant à «préserver la "stabilité et la pureté de la famille" et de maintenir "l’authenticité de l’espèce humaine"». «On a donc inventé les enfants du mariage, les enfants du divorce, les enfants abandonnés, les enfants de l’adultère et d’autres classifications qui vont trop loin dans la stigmatisation d’enfants innocents, privés de leurs droits naturels et punis pour une situation qu’ils n’ont pas choisie».
L’ONG a également appelé «toutes les composantes du mouvement féministe et toutes les forces vives à être vigilantes et attentives aux tentatives malveillantes de remanier les cartes pour saper les acquis des femmes marocaines». Elle s’est également interrogée sur «le contenu du message que nos hauts magistrats présentent aujourd’hui au peuple marocain avec toutes ses composantes et à l’opinion publique internationale».
Par ailleurs, l’ADFM voit dans cette décision une «consécration de la vulnérabilité de la situation des femmes qui portent la responsabilité d’un enfant né hors mariage seules», surtout qu’elle énonce que «les liens entre les deux parties du conflit étaient une relation d’adultère (…) faisant que la fille est considérée comme étrangère par son père, n’a droit à aucune indemnité, car elle résulte d’un acte illégal dont sa mère a été partie». La Chambre du statut personnel de la Cour de cassation a ainsi été appelée à «s’engager à faire référence au référentiel international» des droits humains, particulièrement des droits de l’enfant et des femmes.
Dans ce contexte, l’ONG a appelé le législateur à «accélérer l’adoption du projet loi organique relative à l’exception d’inconstitutionnalité afin de garantir la non-violation des droits garantis par la Constitution». Mais au-delà de la réforme des textes en elle-même, une révision des programmes de formation des juges et la mise en place des programmes de formation continue sur les droits humains, les droits de l’enfant et les droits humains des femmes en particulier sont jugés nécessaires.