A vrai dire, je n’ai jamais été l’homme le plus optimiste sur cette terre, loin de là. A force de toujours voir le verre à moitié vide. J’avais essayé de regarder sa partie pleine, je vous le promets, mais malheureusement-et ce n’est pas de ma faute- le verre s’est renversé tout seule juste au moment où je l’ai fixé de mes yeux. Quelle poisse !! Ou plutôt, maudit le destin qui m’inflige un tel sort: Me contenter de renverser les verres et subir le poids du vide qu’ils laissent derrière pour de vrai.
Je ne sais pas si je dois en rire ou pas, blâmer le monde avec tout ce qu’il contient. Se taire pour l’éternité. Faire semblant de ne plus rien voir ni sentir. Faire finalement comme tous les autres, ça aide après tout….apparemment.
Sur les bancs de l’école ou dans la rue. Là où la majeure partie de nous a grandi. L’insouciance de l’enfance, les questionnements naïfs et maladroits. Les réponses des parents et des instituteurs qui nous ordonnaient de nous taire ou d’aller rejoindre nos mamans en cuisine. Ne plus faire de bruit, ni oser s’interroger sur notre monde et sur ce qui entoure notre imaginaire enfantin qui se cherchait des repères au milieu de ce vaste univers. Se construire et se forger une personnalité et des idées qui sauront conditionner nos vies et les choix qu’on aura à faire tout au long de notre existence.
Je n’ai jamais osé, par exemple, demander à ma mère comment elle a pu supporter l’absence de mon père exilé. Sur une vie commune de plus de 30 ans, ils ont fait des enfants, il y’avait du respect entre eux, des hauts et des bas aussi, c’est sûr. Ils aimaient leurs gosses sans avoir à l’exprimer. Chez nous on a des choses qui ne se disent pas. Exprimer son amour à sa femme ou à ses enfants est une chose qui ne se fait pas. C’était toujours comme ça et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer. Exprimer ses doutes et ses faiblesses est une chose qui n’a pas lieu d’être. On subit, on met un masque et on fait comme les autres,….suivre la foule. La société nous veut ainsi, et c’est bien comme ça. Cela arrange tout le monde…
Dans notre société où l’individu n’a pas vraiment d’espace pour lui, ni d’existence proprement dit. On vit tous pour le village ou la communauté. On existe (ou pas) dans les yeux des autres. On suit le mouvement, et on regarde le monde avec les yeux d’une minorité d’êtres qui se sont accaparés nos vies. Ils pensent et réfléchissent à notre place. Nous servent des recettes magiques nous permettant –apparemment- de vivre et continuer à «exister». Ne pas se poser de questions: c’est péché. Ne pas oser avoir une pensée critique sur telle ou telle chose : C’est un sacrilège. Ne pas essayer de respirer et de regarder le monde avec ses propres yeux : Ennemie public potentiel.
Je n’ai pas vocation de chanter sur la tombe de notre déchéance, ou souffler dans la trompette appelant les chiens enragés à se jeter sur le cadavre de notre misérable existence.
Ce n’est pas de notre faute si nous avons tété ça dès notre plus tendre enfance. Entre une école qui nous a domestiqués au point où on est arrivé à avoir peur de nos propres idées. Chose terrible quand, par exemple, on a la frayeur d’ouvrir un livre religieux, autre que celui de notre confession, par peur de perdre la foi.
Nous avons grandi avec une pensée standardisée, au point où on blâme tout être ou toute pratique susceptible de mettre en question les dogmes qui conditionnent le fonctionnement de notre société. En arriver à ne plus être capable de distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. Ne pas avoir le courage de se remettre en question sous motif que telle pratique ou telle «tradition» (soit disant) a été occultée depuis bien longtemps pour qu’on puisse oser la condamner. Ou se dire que ce n’est peut être pas la plus belle chose que nos ancêtres ont su produire, mais hélas c’est un fait.
C’est vrai que (et heureusement d’ailleurs) tout ce qui est injuste porte en lui la graine de sa destruction. Avec un monde en perpétuel changement. Une humanité qui a besoin, plus que jamais, d’émanciper l’individu pour qu’il puisse vivre en phase avec ses idées et ses choix existentiels. Mettre un terme à la tutelle étouffante qu’il subit, aussi bien au niveau de sa vie personnelle que celle de son statut en tant que citoyen. Exaucer ce besoin viscéral qui fait de l’humain ce qu’il est : pouvoir penser, critiquer, produire, créer…etc….exister tout simplement.
Se dire que chaque fois que quelque chose ne va pas bon train chez nous on adopte le comportement de l’autruche et on se dit que c’est «écrit» et que c’est Dieu qui veut ça. Ou encore -et c’est plus grave- que c’était toujours comme ça. Cela sans parler de certaines voix sortant des obscurités d’un monde révolu, où les gens avaient à se taire sur tout. Un temps où le non-dit et les tabous font lois. Une époque qui ne nous fait pas honneur, ni en tant qu’humains ni en tant que citoyens susceptibles d’être soucieux de ce qui se passe dans notre société. Des voix, sortant de nulle part, qui viennent nous rappeler à l’ordre, nous gaver (et ils savent le faire) de leçons de morales, mettre en cause notre patriotisme et la sincérité de notre amour pour cette patrie qui est la notre ou nous accuser de travailler pour un agenda étranger, comme condamnation suprême.
Cela, car des femmes et des hommes ont osé briser le silence qui nous a fait trop de mal. Tant de personnes en ont souffert et continuent à l’être. L’excuse de se dire que c’était toujours comme ça ne nous permettra plus de dormir paisiblement. On ne pourra plus faire semblant de ne rien voir ni savoir éternellement.
Nous appartenons à un monde qui n’a plus de frontières. Nous sommes obligés de rendre des comptes à l’histoire et à nos enfants. Sur des injustices que nous avons cautionné et des choses sur lesquelles nous avons fermé les yeux sous prétexte qu’on n’y peut rien.
Continuer à faire la sourde oreille à ces milliers d’appels de justice lancées par ces femmes violées, torturées, humiliées dans leur dignité et privées du plus basique de leurs droits. Ces appels que nous avons refusé d’entendre, car ça risquait de mettre des traditions archaïques à genoux et nous forcer d’accepter et d’admettre notre tord à leur sujet. Oser reconnaitre, enfin, le rôle primordial de celles-ci dans l’avancement et la prospérité de notre société. La regarder sans qu’on ait à la réduire au statut de l’objet qui subit son existence. Une chose qu’on s’échange d’une main à l’autre comme on s’échange du bétail.
Aussi, les cris d’au secours de cette enfance que nous avons délaissée. Que nous avons offert à la rue, à la cruauté des montagnes et à l’enfer qu’on leur inflige par ce même silence: Ces enfants de rues que personne ne semble vouloir regarder ou même croiser du regard. Ces victimes d’une société qui n’a pas épargné des mamans seules (veuves, divorcées, célibataires…) qui se retrouvent livrées à la sauvagerie de la rue et toute la déchéance qui va avec. Où ces enfants de montagnes oubliés du monde, vu que les caméras et les appareils photos sont incapables de les cadrer dans leurs objectifs. Ces êtres réduits à l’oubli et dont on a préféré couvrir les visages pour ne pas se retrouver de contempler l’abime que le froid et la privation ont dessiné sur leurs corps. Ces gamins qui ne verront jamais l’école ni gouter à l’ivresse du savoir et de la culture.
Sans oublier les appels de ces hommes dont personne ne veut parler: ces oubliés du soi-disant «changement». Ceux qui ne demandent qu’à vivre avec dignité, élever et éduquer leurs enfants dans des conditions normales (même pas extraordinaires), travailler et avoir accès à un minimum de choses dont un citoyen lambda doit bénéficier : comme la santé et les services administratifs. Sans être obligé de se saigner pour «engraisser» la main de tel ou tel fonctionnaire afin de bénéficier d’un service auquel ils ont droit. Avoir accès aux opportunités du travail et de carrière sans être le fils de…ou se voir contraindre d’acheter un poste à défaut de pouvoir y avoir accès dans des conditions que tout le monde connait . Etc….
Nous avons toujours peur de nos propres démons. Ceux qui présentent la partie la plus obscure, la plus égoïste et la plus primitive de nos personnalités. C’est très facile de refuser de voir les choses comme elles sont. Subir notre quotidien et se dire que c’était toujours comme ça et qu’il n’y a pas de raison que ça change. On peut toujours vivre dans le déni de notre réalité et chanter «la vie en rose». Mais on peut aussi essayer de faire tomber ce voile qui nous cache le soleil depuis trop longtemps. Oser nous mettre en question et faire, enfin, notre autocritique, dieu sait combien elle nous est indispensable pour avancer sur de bonnes bases. Ça fait forcement mal sur le coup, mais ça ne peut que nous réconcilier avec notre conscience et tout ce qu’il y a de bien en nous. Notre société sera la plus belle et la plus juste au monde le jour où elle se rendra compte que le monde a changé, que la différence fait avancer. Qu’un individu libre saura être un bon citoyen, responsable et acteur productif soucieux de construire et de bâtir un idéal sociétal où tout le monde trouve sa place, au-delà des différences, sans qu’il ait à se sentir écarté ou banni à cause de ce qu’il est ou de ce qu’il pense.
On pourrait toujours continuer à ingurgiter notre présent qui nous est servi sans avoir à y mettre nos propres opinions, loin de la dictature de la pensée standardisée qui fait toujours loi malheureusement. Mais on peut aussi se dire que nos vies valent mieux que ça. Oser briser le silence sur bien des choses et, surtout, avoir le courage d’écouter ces appels au secours venant de tous les horizons sans qu’on ait à détourner nos visages et se dire qu’on n’est pas concerné…