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Grand Angle

Entrepreneuriat rural féminin : L’analphabétisme et l’électoralisme plombent les coopératives

Une étude parue dans la revue Alternatives rurales met la lumière sur l’entrepreneuriat féminin dans les campagnes marocaines. Basée sur les trajectoires de six femmes, elle renseigne sur les limites des coopératives à dynamiser l’investissement dans des activités durables et génératrices de revenus.

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Photo d'illustration / DR.
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Pour dépasser les défis auxquels se confronte la viabilité des coopératives féminines dans le monde rural, il ne suffit pas de soutenir ces projets financièrement ou par le biais d’actions gouvernementales. Il est également nécessaire de s’intéresser aux problématiques sociétales et politiques rattachées au contexte local où ces structures évoluent.

Parmi les obstacles qui doivent encore trouver une réponse pratique, la question de l’alphabétisation des femmes revient, de même que l’influence partisane externe sur le fonctionnement et la prise de décision au sein des coopératives. C’est ce qui ressort, entre autres, d’une étude à ce sujet, parue dans l’édition de ce mois de la revue Alternatives rurales.

L’autonomisation des femmes rurales ralentie par le niveau d’instruction limité

Réalisée par Mariam Benkhallouk au sein du Laboratoire des études sur les ressources, la mobilité et l’attraction à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, cette étude intitulée «Des coopératives féminines à l’initiative entrepreneuriale individuelle : trajectoires au sud du Maroc» se base sur le parcours de six femmes rurales. Toutes ont débuté leurs activités économiques dans un cadre coopératif, avant de porter leurs projets personnels. Dans ce sens, l’étude souligne que cette transformation a été rendue possible grâce à un grand appui familial. Il s’agit principalement d’un soutien du père, souvent issu du secteur agricole ou du commerce et capable de soutenir financièrement et moralement le lancement du projet de sa fille.

Le parcours de ces femmes renseigne sur les limites du travail coopératif à s’inscrire dans la durabilité, avec un fonctionnement fluide, ce qui a fait partir une grande part des interviewées. Unanimes sur l’importance de leur passage dans les coopératives, elles concèdent que cette expérience leur a permis de connaître «les premières notions de gestion de travail, la capacité à résoudre des problèmes, que ce soit au niveau intérieur ou extérieur de la structure», ou encore de «développer leurs réseaux, avec l’environnement extérieur de la coopérative».

Cependant, les contraintes de ce cadre les ont poussées à voler vers d’autres cieux. «L’assistanat accentué par le caractère descendant des programmes était selon elles l’un de ces motifs, à cela s’ajoute le fait que le système coopératif ne prévoit pas des mesures de contrôle au sein de ces structures», écrit Mariam Benkhallouk. Pour les interviewées, l’analphabétisme et l’instruction limitée au sein de ces structures ont représenté «un frein pour l’échange et la communication entre le bureau de la coopérative et les autres membres, représente un autre motif de départ». S’y ajoutent des malentendus et problèmes de gestion des structures.

«La cause de mon retrait était du fait que les femmes sont analphabètes, ou bien avec un niveau d’instruction très limité. J’ai eu beaucoup de mal pour collaborer avec elles, de partager les informations concernant la coopérative. Il y avait toujours un problème d’incompréhension, de malentendu, de blocage, cela provoquait beaucoup de problèmes dans la gestion de la coopérative.»

Radia

La vie politique locale, une influence qui s’accentue à l’approche des élections

L'analphabétisme conduit à la problématique de la diffusion des informations en interne et à la fluidité de la communication, ce qui a impacté la gestion de la structure et limité son rendement. «La lenteur de la prise des décisions» dans des coopératives, dont la construction est souvent verticale, met à mal également le fonctionnement et répond aux désaccords sur les décisions prises par l’autoritarisme et la personnification des malentendus, ce qui conduit parfois à un arrêt de l’activité de certaines structures. Dans cette configuration, «l’intégration des positions politiques externes aux coopératives» accentue les différends qui peuvent avoir raison de la durabilité de projets voulus collectifs.

En d’autres termes, un témoignage souligne que «lorsque les adhérentes se subdivisent en deux clans ou plus qu’elles sympathisent avec un parti politique ou un autre, ceci se traduit en conflits internes». Ces influences sont liées à des idées, à des intérêts partisans ou même à ceux d’un mari ou d’un parent. Elles «transportent les conflits d’intérêt extérieurs à la structure à laquelle [des femmes] appartiennent». «La raison pour laquelle on sollicite la participation des femmes, c’est pour combler les parts imposées par le quota en faveur des femmes dans le système électoral», confie Sanaa, l’une des entrepreneuses. Pour avoir fait partie elle-même du conseil de sa commune, elle estime globalement que cette entité territoriale «n’a pas besoin de notre avis dans la gestion des affaires communales» et qu’elle encourage, à un certain degré, les candidatures de femmes «juste pour valider des décisions déjà prises».

«Les femmes dans les cas précités se sont senties instrumentalisées par les hommes de leurs familles ou par les élites de la région pour faire passer leurs décisions, et tout simplement pour répondre aux exigences des instances concernées en termes de respect du quota.»

C’est dans ce sens que l’étude décrit «une mainmise masculine» qui reste importante, «que ce soit celles des élus locaux, ou des membres de la famille des femmes adhérentes». De plus, «les contraintes sociales sont encore fortes et pèsent sur l’avancement et le progrès de ces structures, les femmes adhérentes doivent avoir le consentement des proches pour les décisions décisives dans la structure».

Face à ces contraintes, certaines ex-présidentes de coopératives ont opté pour un projet économique personnel afin de réaliser une réelle autonomie. Mais cette ambition reste tributaire de défis, principalement financiers. «Pour le montage de leurs projets, chacune s’est débrouillée à sa manière», indique l’étude, qui évoque le recours aux subventions dans le cadre de l’accompagnement de projets par des associations dédiées, avec une évaluation et un suivi d’avancement. Cette option reste toutefois un «privilège» pour beaucoup de femmes, en fonction des régions où elles se trouvent et de l’existence de structures locales d’accompagnement. Pour combler ce manque, d’autres recourent à l’aide familiale ou s’adressent à des investisseurs étrangers.

Autant l’entrepreneuriat féminin dans le monde rural «représente une opportunité pour impliquer réellement les femmes et leur conférer la possibilité de définir leur projet personnel de la manière qu’elles considèrent convenable pour elles», autant l’aventure peut s’avérer périlleuse. Pour cause, investir dans la création d’une entreprise diffère du modèle coopératif, puisqu’il «ne présente aucune garantie pour celles qui veulent s’y lancer».

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