Ils sont issus du même quartier et le destin a décidé qu’ils se retrouvent en 2016, autour de leur amour pour l’art de rue. C’est ainsi que s’est formé le duo de Marouane et Imane, qui ont d’abord été entraînés au jeu avec le feu. «Nous avons décidé par la suite de nous développer et nous avons commencé à apprendre plus largement les arts du cirque, en regardant des vidéos sur YouTube et en essayant de reproduire les mêmes mouvements», a confié à Yabiladi Imane, 24 ans.
Pour s’entraîner et aiguiser la justesse de leurs gestes, Marouane et Imane ont fréquenté un terrain inoccupé près de leur domicile, dans le quartier Bernoussi à Casablanca. C’est là où ils ont trouvé un abri loin des regards indiscrets, afin de laisser libre cours à leurs talents. Leur relation s’est renforcée au fur et à mesure de cette œuvre commune, les prémices d’une relation amoureuse.
Huit mois leur ont suffi pour maîtriser les mouvements acrobatiques du cirque. En 2018, ils ont décidé d’intégrer le monde professionnel, en travaillant notamment avec la troupe de théâtre Nomad à Hay Mohammadi, où se tenaient des ateliers culturels et artistiques de cirque. «Nous y avons passé trois mois, où nous avons été accompagné par des professionnels du domaine et nous avons appris à maîtriser plusieurs mouvements que nous avions l’habitude de trouver difficiles avant», nous ont-ils confié.
«Nous avions l’habitude de nous entraîner la nuit et de sortir dans la rue pour faire nos spectacles devant un groupe de spectateurs, sur la place Maréchal à Casablanca. Après cela, nous avons voyagé vers d'autres villes marocaines pour des spectacles de rue et nous avons nommé notre troupe casaArt.»
Une reconnaissance à l’étranger qui a facilité leur renommé nationale
Après avoir acquis plus d’expérience dans l’art du cirque, le duo a reçu des offres pour participer à plusieurs événements artistiques. «Au début, notre gagne-pain était l’art de rue en plus de quelques petites occasions comme les anniversaires. Mais après, nous avons été invités à de grands événements», se rappelle Imane, fière d’avoir participé en 2018 au festival Karan à Oujda, ou en 2019 au festival des Cèdres à Khénifra.
Le succès aidant, Marouane et Imane ont été appelés aussi à l’étranger. «En 2018, nous avons obtenu un projet de 4 mois dans un mall au Koweït pour préparer et présenter des spectacles acrobatiques», se souviennent-ils. L’été 2019, ils s’envolent pour la Turquie, où une nouvelle opportunité leur a été proposée. «Nous avons travaillé 4 à 5 mois dans des spectacles pour un groupe hôtelier», se souvient Marouane, 31 ans.
Avant d’exporter leurs spectacles à l’étranger, Marouane et Imane recevaient de petits cachets, malgré les performances réalisées au Maroc. «Nous étions méprisés, car nous sommes des artistes de rue, et tant que nous acceptons de petites sommes des spectateurs de rue, nous devions accepter les petits cachets, sans oublier que certains organisateurs d’événements n’osaient pas faire appel à nous, nous estimant dangereux car jouant dans la rue», se souviennent-ils. Mais dès qu’ils ont été sollicités à l’étranger, le regard de leurs concitoyens a changé.
Imane confirme en effet que travailler dans la rue n’est pas aussi facile que certains l’imaginent, particulièrement pour les filles. «J’entendais des commentaires blessants de certains spectateurs», nous confie-t-elle, ajoutant que la nature de son activité a été source de problèmes familiaux. Cette diplômée en graphisme déclare par exemple que sa mère «n’était pas au courant» de son activité artistique. «Certaines personnes parmi nos voisins allaient la voir et lui disaient que je mendiais avec un jeune homme (Marouane). Ma mère se mettait en colère et cela me faisait très mal», confie la jeune artiste.
Elle se souvient aussi que sa mère «était contre l’idée de travailler dans la rue». «Ce qui compliquait encore plus les choses, c’était que je travaille aux côtés d’un jeune homme inconnu, alors Marouane et moi avons décidé de nous marier même si nous n’y étions pas préparés financièrement», déclare Imane au sujet de cette union officialisée fin 2017. «Ce n’est pas pour autant que ma mère accepte aujourd’hui l’idée que je sorte dans la rue», nuance-t-elle.
L’art de rue, de la mendicité au regard des autorités
En plus de ces contraintes quotidiennes, le duo était également harcelé par les autorités et se retrouve souvent empêché de faire ses représentations sur la place Maréchal. «Notre équipement chèreent payé a été saisi», déplore le jeune couple. Autre malheur, alors que la réputation du duo commençait à toucher un large public, la pandémie de Covid-19 a sévi dans plusieurs régions du monde.
«Notre condition de vie s'est sensiblement détériorée en raison de l’arrêt de tous les festivals et de l’interdiction préventive des rassemblements, ce qui nous a plongé dans une crise financière étouffante. Nous ne pouvions même plus payer notre loyer et nous avons déménagé pour vivre chez le père de Marouane, malgré sa situation difficile.»
Après l’assouplissement des mesures sanitaires, Imane et Marouane ont décidé d’investir les feux rouges pour présenter leurs acrobaties devant les conducteurs en arrêt pendant quelques secondes. Ils ont gagné un public particulier, mais le harcèlement a continué. «Nous essayons de jouer dans des endroits où il n’y a pas de vidéosurveillance, car autrement nous sommes arrêtés par les autorités et nous passons 48 heures au poste de police, puis nous sommes déférés au parquet pour mendicité et parfois pour des accusations liées à la drogue, alors que nous ne prenons aucune drogue», déplorent-ils.
Mais face aux besoins du quotidien, le couple se doit de persévérer, car «le cirque est notre source de revenus pour le moment». «Notre objectif est de divertir les gens en échange d’une petite somme d’argent», a déclaré Imane, pour qui «ce n’est pas un crime de présenter aux gens un spectacle de quelques secondes, sans chercher de problèmes et sans faire de mal à personne».
Malgré les défis qui se présentent à Imane et Marouane, ils considèrent que la rue «est cet endroit qui [les] a accueillis et [leur] a appris beaucoup de choses qui ne peuvent pas être apprises dans les écoles ou sur scène, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi humainement». «Quiconque a un talent artistique et veut le faire éclore doit investir la rue, car l’art de rue n’est pas de la mendicité», affirment-ils en encourageant les jeunes talents à se servir de l’espace public comme espace d’expression artistique par excellence.