Avant de s’ériger en «puissance africaine défendant le droit inaliénable des peuples à l’autodétermination» en soutenant inconditionnellement le Polisario, l’Algérie a elle-même été confrontée, tout comme le Maroc depuis plus de 40 ans, à un projet visant à porter atteinte à son intégrité territoriale. Dans les années 1950 et 1960, la France coloniale a ainsi tenté d’établir un «Etat sahraoui» dans la partie sud de l'Algérie, projet face auquel le mouvement national du voisin de l’Est s’est farouchement opposé.
Nous sommes dans les premières années de la révolution algérienne, née en 1954. La France coloniale, sentant venir l'indépendance de l’Algérie, prend conscience de la valeur stratégique et économique du sud du pays. Elle commence ainsi à préparer des projets pour séparer cette zone du reste de l’Algérie.
«Les autorités coloniales ont délibérément envisagé un autre plan et l'ont progressivement mis en œuvre, qui consiste à adopter une série de mesures dont le but est de sauver ce qui peut être sauvé en démantelant les liens (entre le territoire) et la patrie algérienne», écrit l’universitaire Mohamed Qen, dans «La séparation du Sahara algérien et quelques réactions locales 1957-1962». «L'idée de séparer le Sahara est née lors de la Seconde Guerre mondiale, son importance stratégique ayant doublé pendant et après la Seconde Guerre mondiale. L'Union soviétique, la Grande-Bretagne et les États-Unis se sont trouvés contraints de développer leurs armes nucléaires, et depuis 1956, il ne reste plus pour la France que l'Algérie et ses étendues désertiques», explique-t-il.
Ainsi, la France coloniale crée les «zones d'organisation industrielles et stratégiques africaines (ZOIA)». «L'objectif apparent était de travailler au développement économique et à la promotion sociale des régions désertiques de la République française (…) tandis que l'objectif ultime était de séparer le désert algérien du nord, qu’elle considère comme «soumis à aucune souveraineté».
Alger mobilisé pour son Sahara oriental
Pour se faire, la France tentera de convaincre les puissances mondiales des ressources naturelles du Sahara, en présentant «des cartes» attestant que le territoire est «séparé» de l’Algérie, poursuit l’historien. Elle accélèrera la cadence de son action diplomatique avec le remaniement ministériel de juillet 1959, en nommant Louis Joxe comme secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre Michel Debré, pour se spécialiser dans la question algérienne et la séparation du Sahara. Chargeant Olivier Guichard de ce dossier, ce dernier tentera de convaincre les Touaregs de soutenir l’indépendance du Sahara algérien, en vain.
Parallèlement, les autorités françaises mandatent Hamza Boubakeur, pour présenter un projet de mise en place d'un Etat sahraoui qui comprend les wilayas des oasis et de la Saoura (Béchar, Tindouf et Adrar). A en croire Mohamed Qen, il a contacté plusieurs chefs de tribus pour tenter de les convaincre de ce projet.
«Les autorités coloniales ont fourni à Hamza Boubakeur tous les moyens pour mener à bien sa mission», rapportent de leur côté Sara Ben Allou et Zahira Kabiri dans «La politique française de séparation du Sahara algérien et les réactions populaires de celui-ci (1957-1962)». Il répandra l’idée d’une «identité sahraouie», en espérant prendre les rênes de cet «Etat sahraoui». Les deux chercheures font aussi part de «diverses méthodes de pression et de menaces exercées par l'administration coloniale sur les notables et la population» de la région pour accepter ce plan, notamment en 1960 et 1961.
L’affaire de la division de l’Algérie devient vite l’une des préoccupations majeures du mouvement national. Les leaders de la révolution appelleront ainsi «les populations du Sahara au boycott des élections et interdiront aux élus de prendre part à une éventuelle rencontre pour l’installation du gouvernement de la pseudo République sahraouie islamique», raconte l’ouvrage.
Le Maroc soutenait l’intégrité territoriale l’Algérie
Le gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda multiplie, dans ce sens, les déclarations. Il annonce ainsi que «l'indépendance est avant tout l'unité territoriale algérienne, y compris le Sahara, et c'est la pratique du peuple algérien de sa politique, loin de toute pression coloniale». Le Front de libération nationale résiste aussi, en exprimant son «rejet de tout règlement appelé "unité nationale" mais conduisant à la division de l'Algérie et portant un coup fatal à l'indépendance de l'Algérie et aux principes pour lesquels la révolution a été lancée».
Les leaders de la révolution algérienne iront chercher des soutiens extérieurs, en menant une large campagne diplomatique à l’étranger, visant à «expliquer la situation en Algérie et clarifier sa position sur la question de la division». «Le gouvernement algérien a pu gagner le soutien des pays africains», ajoutent Sara Ben Allou et Zahira Kabiri, qui rappellent à cet égard l'appui du roi Hassan II.
«Le roi Hassan II du Maroc a annoncé le 07/05/1961 qu'il affirme son soutien inconditionnel au peuple frère algérien dans sa lutte pour l'indépendance et l'unité nationale». Le souverain a aussi réaffirmé son «soutien inconditionnel au gouvernement provisoire de la République algérienne dans ses négociations avec la France sur la base du respect de l'intégrité territoriale algérienne et exprime sa volonté de s’opposer par tous les moyens à toute tentative de partage ou d'amputation des terres algériennes», poursuit-on.
Le 5 juillet 1962, l'Algérie accède à son indépendance après une colonisation ayant duré 132 ans. Le pays réussit ainsi à garder l’ensemble de ses territoires. Le voisin de l’Est entrera en guerre, un an plus tard, avec le Maroc dans le cadre de la Guerre des Sables d’octobre 1963. Il semble ainsi que l’Algérie n’a fait que calquer les plans coloniaux touchant son intégrité territoriale pour viser celle du Maroc. Depuis sa création, Alger accueille, finance et soutient le Front Polisario, qui revendique l’indépendance du Sahara marocain.