Avant de créer Aeternam, l’un des groupes de metal les plus connus sur la scène québécoise, Achraf Loudiy a été initié à ce style musical à Meknès, où il est né et a grandi jusqu’à l'obtention son baccalauréat en sciences mathématiques. Grand amateur de musique depuis l’enfance, il a baigné dans un environnement artistique plutôt oriental, malgré son grand intérêt pour les musiques occidentales. «Ma mère chantait beaucoup et j’ai grandi en écoutant de la musique arabe. Dans la cuisine, elle mettait des cassettes d’Oum Kalthoum, Abdelhalim Hafez», se souvient-il.
C’est son grand frère qui l’intiera au metal. «Lorsqu’il est parti faire ses études à l’académie militaire de Marrakech, il revenait souvent avec des cassettes de Metallica ou de Nirvana. J’écoutais de la pop à l’époque, il se moquait de moi et me conseillant d'écouter ses cassettes», se rappelle-t-il. Début des années 2000, Achraf a un ordinateur à la maison, ce qui lui a permis de voir des concerts de Metallica. Il devient alors «fou de cette musique» qui l’a obsédé.
Une initiation à la scène metal à Meknès
C’est à cette période qu’un de ses amis commence à jouer de la guitare. Il demande à ses parents d’en avoir une, mais se confronte à des réserves. «Même si j’ai grandi dans une famille plutôt aisée, mes parents m’ont inscrits à l’enseignement public depuis le collège, et voulaient que j’évolue dans l'univers social de la ville», se souvient-il. Face à son insistance, il est finalement autorisé à utiliser une guitare accrochée au mur de la maison et «qui servait plutôt de décoration».
«J'ai appris à jouer les premières chansons de Metallica ou de Marylin Manson sur cette guitare», confie-t-il fièrement. Une première guitare lui sera offerte et Achraf passera «des nuits blanches à apprendre à faire des solos».
«A cette époque, il n’y avait presque pas de fans de metal dans ma ville natale. Nous avions l’air d’être un peu des aliens. Cela a causé quelques soucis pendant nos premiers concerts, mais nous avons beaucoup été aidés par un propriétaire de salle, qui nous prêtait son espace.»
A son premier concert, Achraf et son groupe jouent devant un public venu surtout par curiosité. Certaines personnes pensaient que les musiciens de metal étaient des apôtres de Satan, d’autant plus que l’affaire des rockers jugés à Casablanca avant d’être libérés était dans tous les esprits.
Achraf multiplie les spectacles avec ses camarades d’école au sein de plusieurs groupes, jusqu’à se produire avec Imperium. La formation a eu plus de visibilité, ce qui lui a permis d’être programmée dans d’autres villes, notamment à Rabat, à Sidi Kacem, au festival L’Boulevard des jeunes à Casablanca vers 2007. Une aventure qui s'arrêtera pour Achraf qui doit partir poursuivre ses études au Canada.
Une nouvelle vie au Québec, entre musique et informatique
Au Québec, il obtiendra un Bachelor en génie logiciel. Il travaille depuis dans le développement web et d’applications. Architecte organique en informatique, Achraf a travaillé pour des sociétés de consulting en faisant ses armes à SharePoint. Désormais en freelance, il multiplie les prestations pour des projets gouvernementaux.
Artistiquement et peu après son arrivée au Québec, Achraf a rencontré Antoine Guertin, dans la résidence estudiantine. Actuellement batteur du groupe Aeternam, Antoine était alors étudiant en musique. «On a joué ensemble et il m’a proposé de monter un groupe. Nous avons travaillé quelques compositions de folk metal nordique et j’ai apporté des rythmes plutôt orientaux», se rappelle-t-il.
De ses premières compositions émergeront le style actuel d’Aeternam. Depuis 2012, un bassiste permanent, Maxime Boucher, fait partie de l’aventure. «En sortant notre album sur MySpace à l’époque et en l’envoyant à quelques magazines, nous avons été mis en contact avec des bookers de metal», raconte Achraf.
«Nous avons sorti notre second album en continuant à explorer des univers musicaux nouveaux, puis nous avons pris cinq ans pour sortir le troisième, en réfléchissant à notre avenir en tant que groupe au sein de l’industrie musicale.»
Ce nouvel album a été un succès au Québec, Aeternam recevra des propositions de tournées européennes, puis participera à deux reprises au plus grand festival de metal organisé en mer, 70000 Tons of Metal.
De son parcours, Achraf Loudiy retient toutes les expériences positives et les rencontres humaines qui l’ont marqué. Cependant, certains mauvais souvenirs rejaillissent comme «la première fois où [il a] été confronté au racisme, en arrivant au Canada». «Au Maroc, je n’en étais pas conscient mais ici, j’ai dû faire face à des agressions physiques. C’était des moments difficiles mais que j’ai appris à dépasser, d’autant plus qu’au niveau professionnel, je n’ai pas réellement vécu ces situations ; j’ai souvent été entouré de bonnes personnes», nous confie-t-il.
Une évolution des inspirations musicales
Au fur et à mesure des années, lorsqu’Achraf ne travaille pas en informatique, il écoute différents styles de metal, à la recherche de nouveaux groupes.
«En écrivant Al Qassam, j’ai voulu expérimenter de nouvelles choses avec des paroles en arabe, parler de sorcellerie au Maroc, souvent moquée mais j’ai voulu traiter le sujet avec un aspect de recherche.»
Pour Achraf, ce procédé se fait chez nombre de créateurs occidentaux, qui font mieux connaître leur folklore local. «Nous aussi nous en avons un, qui est très riche et dont on ne parle pas beaucoup. J’ai voulu le traiter de la manière artistique la plus appliquée possible. En écoutant cette chanson, on y entend d’ailleurs des instruments comme la derbouka, du luth, de la guitare sèche, des distorsions… C’était très difficile de la composer, car elle contient beaucoup de saveur et la production doit rendre justice à cet héritage, avec un effort positif en termes de rythmes et d’arrangements», confie le musicien.
Le fer de lance d’Aeternam espère ainsi «continuer à produire des albums de qualité et à s’améliorer, pour faire des performances live toujours meilleures». Faute de propositions, des dates pour se produire au Maroc n’ont pas été prévues jusque-là, mais Achraf y pense toujours. «Je faciliterai volontiers les choses, si nous sommes invités pour des festivals comme L’Boulevard, ou autres. Nous le ferons surtout pour le plaisir d’être sur la scène marocaine et pour le plaisir de nos fans marocains», conclut-il avec espoir de se produire à nouveau sur sa terre natale.