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Grand Angle

Les échos du Mellah, un film sur les juifs de Tinghir [Interview de Kamal Hachkar]

Kamal Hachkar, cinéaste franco-marocain berbère musulman n’est âgé que d’une dizaine d’années lorsqu’il apprend l’existence d’une communauté berbère juive au Maroc. Il découvre par la même occasion, que Tinghir, sa ville natale au Maroc, a abrité une importante communauté juive, une grande partie ayant quitté le Maroc pour s’exiler en Israël. Avec sa caméra, Kamal décide de partir sur les traces de ces juifs qui ont vécu à Tinghir pour savoir s’ils ont oublié leur terre natale. C’est ainsi que son documentaire «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah» est né, après un long travail de recherche de plusieurs années. De passage à Casablanca, Yabiladi a rencontré Kamal Hachkar. Interview.

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Yabiladi : Vous souvenez-vous à quel moment de votre vie vous avez appris qu’il existait une communauté de juifs berbères au Maroc ?

Kamal Hachkar : J’étais encore au collège. Un été, lors de vacances au Maroc, mon grand-père m’a raconté qu’il faisait autrefois du commerce avec des personnes de confession juive à Tinghir. C’était une véritable découverte pour moi parce que je pensais que tous les Marocains étaient musulmans. J’ai découvert soudainement l’existence d’un autre qui n’était plus là, mais dont il restait toujours des traces, des tombes et des maisons vides. Je me suis demandé comment des gens qui étaient présents au Maroc depuis 3000 ans avaient pu, en quelques jours seulement, quitté leur terre natale. Mes grands-parents m’ont donc raconté plein d’histoires sur cette communauté qui m’ont fait découvrir une partie de mon histoire.

Vous vous êtes ensuite très vite passionné d’histoire…

Oui, plus tard, je suis devenu professeur d’histoire. En 2005, alors que je suis à Paris, je découvre les cinémas palestinien et israélien et j’ai eu envie d’aller au Proche-Orient. J’y suis allé une première fois avec l’idée secrète de retrouver des gens qui ont peut-être vécu à Tinghir mais sans faire des démarches pour les retrouver. A mon retour, je me suis inscrit à une association qui enseignait l’arabe et l’hébreu en même temps, et je suis tombé amoureux de l’hébreu. Ensuite, j’ai fait un second voyage organisé en Palestine et en Israël. Lors de ce voyage, le guide a rencontré un jour, par hasard, à Galilée un copain avec qui il a fait la guerre du Kippour en 1973. Le guide lui dit qu’un homme du groupe est Marocain et parle la darija. C’était moi. Il me le présente et ce monsieur m’explique qu’il est né en Israël mais que ses parents sont nés au Maroc et sont originaires de l’Atlas. Je lui demande où dans l’Atlas, il me répond à Tinghir. Cette rencontre a vraiment été le déclic pour la réalisation de ce film.

En tant que MRE, amazigh et musulman, est-ce que vos origines ont renforcé vos liens avec cette communauté et vous ont-elles permis de mieux comprendre le déracinement de cette communauté ?

Il est évident que si je me suis intéressé à cette histoire c’est parce que je suis Franco-marocain. Pas seulement Marocain mais parce que je suis un enfant d’immigré. J’ai effectivement trouvé un miroir avec ces personnes-là, une certaine empathie. Sauf que la seule grande différence est que ces gens n’ont plus de maison pour retourner à Tinghir alors que moi j’ai une maison où je retourne régulièrement parce que mon père a gardé un lien avec cette ville. J’ai un rapport très amoureux avec ma ville d’origine, j’ai de la famille alors qu’eux n’ont plus personne. Eux y reviennent seulement en tant que touristeset c’est là que j'ai constaté que c'est un véritable déchirement. Tout cela m’a permis de me réapproprier mon identité marocaine et de prendre conscience de l’histoire de Tinghir et j’en étais très fier. C’est ce j’ai voulu montré dans mon film.

Comment a été perçue la diffusion de ce film au sein de la communauté marocaine juive en Israël ?

Il n’y a pas eu encore de diffusion du film en Israël. J’espère qu’il sera sélectionné au prochain festival du film à Jérusalem et sera diffusé dans d’autres villes. Il le sera en tout cas dans les cinémathèques. Je ne connais pas encore la réaction des gens lors de toutes ces projections.

Par contre, ce qui m’a fait vraiment plaisir lors de projections du film à Montréal, New York ou Paris, c’est que le les gens, qui n’étaient ni juifs ni Musulmans se sont identifiés aux personnages du film. Ils ont ri et ils ont pleuré. Ce film n’est pas communautariste, il ne s’adresse pas seulement aux Marocains ou aux Marocains musulmans. C’est un film qui intéresse tout le monde et je dirais tant mieux s’il intéresse les juifs et les musulmans du Maroc.

L’un des moments les plus marquants du film ce sont des retrouvailles virtuelles entre votre père, et un Marocain juif vivant en Israël que votre père a connu autrefois. Comptez-vous organiser, un jour, de vraies retrouvailles entre cette communauté exilée et leur terre natale de Tinghir ?

C’est dans mes plans. Depuis le début, j’avais envie de recréer une reconnexion entre ces personnages et Tinghir. J’aurais pu le faire, mais cela aurait fait l'objet d'un autre film. J’ai déjà une idée de suite du film qui porterait notamment sur ce monsieur du film qui a quitté le Maroc en 1963 et qui parle Tachelhit. C’est incroyable que 50 ans après, il soit comme nous, il nous ressemble mais que la seule différence est qu’il soit juif. Mon rêve est d’organiser un voyage et de suivre ces personnes lors de leurs préparatifs de leur voyage. Par exemple un homme dans mon film se rappelle de tous ces amis de Tinghir qui sont tous morts et il dit «je n’oublierai jamais Tinghir». Le seul fait d’imaginer que lui et que d’autres personnes viennent avec leurs enfants et leurs petits enfants pour qu’ils partagent avec eux leur histoire serait une très belle suite de film, un très bel évènement culturel que j’ai vraiment envie de filmer.

Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah, film réalisé par Kamal Hachkar (version courte)

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