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Grand Angle

Fikra #31 : Les abeilles du Sud-Ouest marocain, toute une espèce à préserver

Entre Essaouira et Tan Tan, la domestication des abeilles s’inscrit dans le cadre d’une apiculture ancrée dans les particularités de ce territoire. L’un des enjeux est surtout de maintenir un écosystème de qualité, alors que le déclin des abeilles est de plus en plus menaçant.

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Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 3'

Drôle de concept que de domestiquer une abeille. C’est pourtant une pratique en vigueur dans le Sud-Ouest marocain (d’Essaouira à Tan Tan), qui converge vers une apiculture holiste, c’est-à-dire qui prend en compte l’environnement apicole dans sa globalité.

«La question de la domestication des abeilles ne cesse de faire débat depuis des décennies, chez les anthropologues, historiens et archéo-zoologues notamment, pour faire la part entre l’imaginaire du sens commun, suscité de manière universelle par la ''sociabilité'' remarquable de ces populations d’insectes, et l’impact des pratiques concrètes des apiculteurs sur ces dernières», lit-on dans une étude intitulée «La domestication de l’abeille par le territoire. Un exemple d’apiculture holiste dans le sud marocain» (2015). Et d’interroger : «Car une question dérange sans cesse du point de vue de la formulation : comment parler de domestication de l’abeille alors que celle-ci vit déjà en société et que son passage à ''l’état'' domestique ne change en rien son organisation sociale ?»

«Il faut comprendre avec finesse le terme de domestication», souligne auprès de notre rédaction Yildiz Aumeeruddy-Thomas, directrice de recherche au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et coauteure de l’étude. «La domestication des abeilles désigne le passage de l’abeille sauvage à l’abeille domestiquée, qui est une espèce d’abeille. Les hommes utilisent des abeilles domestiquées depuis environ 20 000 ans, mais dans un cadre particulier, à savoir la capacité de ces mêmes abeilles à revenir à l’état sauvage, que les apiculteurs remettent dans un cadre domestique avec leurs pratiques, leurs techniques, qui confère à ces abeilles tout un tas de caractéristiques», s’épanche la chercheuse.

Déperdition des savoir-faire traditionnels

Pour Yildiz Aumeeruddy-Thomas, l’enjeu de cette domestication est de taille : «Les apiculteurs utilisent une autre race d’abeilles domestiques, c’est-à-dire l’abeille noire, qui vient des pays du Nord de l’Europe. Or cette pratique déstructure l’intégrité d’un système à la fois social et écologique.» L’autre aspect de cet enjeu est, selon le géographe Lahoucine Amzil, également coauteure de l’étude, la «déperdition des savoir-faire traditionnels, qui sont derrière tout un montage social et socioéconomique dans la campagne marocaine».

Les apiculteurs du Sud-Ouest marocain ont également bien compris l’importance de prendre soin des abeilles, dont le déclin – et avec elles celui des pollinisateurs – inquiète depuis des années la communauté scientifique. «L’apiculteur dispose de plusieurs cordes à son arc pour préserver ses essaims des maladies et leur apporter la nourriture dont ils ont besoin», souligne l’étude. «Les agriculteurs prennent soin de leurs abeilles pour éviter les maladies, afin de pouvoir les transposer dans différents espaces pour qu’elles butinent. A travers cela, c’est aussi la santé des hommes qui importe», complète Yildiz Aumeeruddy-Thomas.

Par exemple, face à l’invasion du varroa, une espèce d’acariens parasites de l’abeille adulte, «les apiculteurs considèrent que les abeilles sont capables de réduire les effets de la maladie notamment par l’utilisation de la propolis issue de certaines plantes», ajoute-t-on de même source. Lahoucine Amzil de préciser : «Certaines plantes médicinales sont prisées pour remédier à des problèmes au sein des colonies d’abeille.»

Maintenir une bonne qualité des pollinisateurs

Face aux pesticides et herbicides en tous genres utilisés dans l’agriculture, y compris marocaine, Yildiz Aumeeruddy-Thomas souligne l’importance de maintenir la qualité des pollinisateurs. «L’abeille telle qu’elle est décrite dans le cadre des systèmes de l’arganeraie nous donne un autre point de vue sur l’apiculture que celle de la modernisation de la production apicole. Cet autre point de vue est fondé sur l’utilisation d’un territoire par des techniques traditionnelles, et c’est ce qui fait la bonne santé des abeilles et de ce territoire, puisque les abeilles pollinisent. C’est très important aujourd’hui d’avoir un maintien de la bonne qualité des pollinisateurs», assure la chercheuse.

Cette dernière déplore toutefois que les politiques agraires marocaines ne s’inscrivent pas dans cette voie : «Ces politiques tendent actuellement vers une modernisation agricole fondées sur l’utilisation très importante de pesticides et d’herbicides. Globalement le Maroc, dans son schéma et sa politique agricole actuels, propose aux paysans, dans tous les systèmes d’extension agricole, une forte utilisation des pesticides et herbicides et des engrais.»

Dans ce sens, Yildiz Aumeeruddy-Thomas rappelle que la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) – «l’équivalent du GIEC pour la biodiversité» – a déjà, dans le cadre d’une évaluation globale, considéré que les pays membres (dont le Maroc) doivent faire le nécessaire pour diminuer la quantité de pesticides utilisée.

Une recommandation qui fait écho à un constat alarmant formulé par l’IPBES en mai dernier : un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – risque de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans. Au Maroc, les chiffres étaient tout aussi inquiétants : 15% de sa biodiversité, faune et flore, est menacée – abeilles comprises. Le maintien de leur écosystème est donc plus que jamais nécessaire.

La revue

L’étude «La domestication de l’abeille par le territoire. Un exemple d’apiculture holiste dans le sud marocain» a été écrite par Romain Simenel, Antonin Adam, Audrey Crousilles, Lahoucine Amzil et Yildiz Aumeeruddy-Thomas.

Elle a été publiée dans la revue semestrielles d’anthropologie Techniques & Culture, qui s’intéresse en particulier à l’ethnologie des techniques, aux techniques comme productions sociales à part entière au cœur des rapports entre les sociétés et leur environnement.

Les auteurs

Yildiz Aumeeruddy-Thomas est directrice de recherche au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ses travaux privilégient une démarchent ethnoécologique et interrogent les relations Hommes-Natures sur les thèmes suivants : les possibles synergies entre savoirs locaux et scientifiques pour la conservation de la biodiversité ; les processus de domestication et les dynamiques des agroécosystèmes et de l’agrobiodiversité ; les interactions bioculturelles à différentes échelles spatio-temporelles dans le cadre du changement global.

Lahoucine Amzil est géographe, enseignant chercheur à la faculté de lettres et des sciences humaines de l’université de Rabat. Depuis 2010, il est membre du LMI-MediTer et du laboratoire universitaire LITOPAD.

Renart
Date : le 24 novembre 2019 à 20h20
J'ai vu un article scientifique récemment qui disait que l'abeille était considérée comme l'animal le plus important pour notre écosystème par de nombreux scientifiques. Et quand j'ai lu ça, ça m'a fait pensé à sa mention au sein du Coran. Car du point de vue des hommes il y a 1400 ans, sa valeur n'était pas aussi connu que maintenant. Certes on connaissait les vertues du miel et de la pollinisation mais on ne mesurait pas l'importance de l'abeille comme on la connaît maintenant. Ah j'ai retrouvé l'article (c'est en anglais par contre) : https://truththeory.com/2019/10/20/the-bee-has-been-declared-the-most-important-living-being-on-the-planet/
An-altruistic-lady
Date : le 24 novembre 2019 à 20h07
Les abeilles c'est la vie.
Dernière modification le 24/11/2019 20:20
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