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Grand Angle

France : Religieux et Etat, « une laïcité flexible et pragmatique »

«Inutile de débattre sur des sujets qui font maintenant consensus», disait Jacques Chirac. Les récentes décisions rendues par le Conseil d’Etat, juridiction administrative suprême, ne font que confirmer ce que répondait l’ancien président de la République à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur qui préconisait pour sa part un «toilettage» de la loi de 1905, dite de la laïcité. Depuis, la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat a montré plus d'une fois sa flexibilité et son pragmatisme. Retour sur cinq cas d'école récents.

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Encore une fois, le Conseil d'Etat a remis les pendules à l'heure en donnant raison aux collectivités territoriales dans des affaires controversées concernant des lieux de culte. «Il n’a fait que rappeler l’Etat de droit en s'appuyant sur le code général des collectivités territoriales et la jurisprudence. Il ne se contente pas des généralités et tient compte des motivations de chacun», soulève Franck Fregosi, responsable scientifique de l'Observatoire du religieux de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, se référant aux décisions prises mardi 19 juillet dans cinq dossiers où le rapport entre lieux de culte et collectivités territoriales a été remis en question par des plaignants.

Espaces culturels et cultuels

«L’institution a rappelé ce que la laïcité est dans son mode de fonctionnement, une laïcité flexible et pragmatique», explique Fregosi. Preuve en est, chacune de ces décisions répond à des besoins bien précis. Dans la commune de Trelazé, située dans le département de Maine-et-Loire, un contribuable avait contesté la décision du conseil communal d’acquérir et de restaurer un orgue pour l’installer dans une église. A Lyon, la décision du conseil municipal de remettre une aide de 1,5 million de francs à la Fondation Fourvière est à l’origine de la plainte de la Fédération de la libre-pensée du Rhône et de l'association République et Laïcité. L’aide avait contribué au financement de travaux de construction d’un ascenseur afin de faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite. Au Mans, un contribuable a exprimé son désaccord avec le financement, à hauteur de 380 000 euros, des travaux d’aménagement d’un abattoir pour ovins. Cette somme devait aider à aménager des locaux désaffectés pour en faire un abattoir destiné à fonctionner uniquement pendant l’Aïd-el-Kébir. A Montpellier, la construction d’une salle polyvalente mise à disposition à l’association des Franco-Marocains pose question. Enfin, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le conflit porte sur un bail emphytéotique (location entre 18 et 99 ans en droit français) remis à la fédération culturelle des associations musulmanes pour l’édification d’une mosquée.

«L’intérêt local prime sur la subvention déguisée»

Dans tous ces cas, le Conseil d’Etat a donné raison aux collectivités territoriales car «l’intérêt local prime sur la subvention déguisée et un lieu de culte peut aussi avoir une dimension culturelle», rappelle Franck Fregosi. Exemples : l’installation d’un orgue peut avoir une vocation artistique, pédagogique et la construction d’un ascenseur peut participer à la valorisation des atouts culturels et artistiques de la basilique de Fourvière. Concernant l’abattoir, l’intérêt local réside dans «l'application des règles de salubrité et de santé publique. Ce genre de solution permet de mieux contrôler l’abattage dans des lieux qui ne sont pas sains, comme dans les maisons ou les jardins. Cette commune n’a pas enfreint la loi de 1905 puisqu’elle apporte une aide provisoire, pendant la période de l’Aid-el-Kebir, et qu’il n’existe aucun autre abattoir à proximité», précise M. Fregosi, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l’islam et la laïcité en France.

Dans les cas de Montreuil et Montpellier, le code général des collectivités territoriales autorise, dans le premier et sous certaines conditions, la location d’une salle à une association à des fins religieuses, et dans le deuxième la remise d’un bail emphytéotique pour la construction d’une mosquée. «Une commune ne peut pas louer un local pour une occupation durable mais peut le faire de manière ponctuelle, ce qui est le cas ici, explique Franck Fregosi avant d’ajouter que la passation d’un bail avec l’objectif de construire un lieu de culte est légal». «Cette disposition montre que l’idéal serait que chacun dispose de son lieu de culte», pointe-il du doigt.

Le vice-président du Conseil d'Etat, Jean Marc Sauvé, a par ailleurs récemment indiqué qu'il y a, «depuis deux ou trois ans une augmentation du nombre de litiges sur les aides financières de collectivités à des projets liés aux cultes religieux». Pour Franck Fregosi, cela soulève la question de savoir si certaines religions, comme l'Islam, seraient plus concernées que d'autres. S'il est difficile d'y répondre, le chercheur relève une autre particularité : «certains de ces contentieux proviennent de particuliers. Ces individus se sentent-ils lésés ou sont-ils portés par des groupes d'extrême droite ?» s'interroge-t-il. Une chose est sûre, tous ces cas de figure montrent qu'«il y a un décalage entre les discours idélogiques et rigides de responsables publics déconnectés de la réalité du droit qui est, lui, plus pragmatique», fait remarquer Franck Fregosi. 

Parmi ces 5 affaires, 3 sont encore en cours (maj)

Parmi ces cinq affaires, trois d'entre elles doivent être validées, celles de Trelazé, le Mans et Montpellier. Les cours administratives d'appel de Nantes, pour les deux premières villes, et de Marseille, pour la dernière, « devront à nouveau examiner les précisions apportées par le Conseil d'Etat dans ces affaires » avant de les valider, nuance l'institution. 

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