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Interview

Au Maroc, 1,5 à 2 millions de personnes sont atteintes d’une maladie rare [Interview]

Dr Moussayer Khadija, spécialiste en médecine interne et en gériatrie, présidente de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), souligne l’importance de mettre en place des dépistages néonataux pour tous les nouveau-nés.

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Dr Moussayer Khadija, spécialiste en médecine interne et en gériatrie, présidente de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS). DR
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A l’occasion de la Journée internationale des maladies rares, célébrée le 28 février, l’AMMAIS revient sur la délicate gestion des maladies rares au Maroc, malgré l'émergence de tests de diagnostic, notamment en matière génétique et biologique, ainsi que de nouveaux traitements.

Comment définit-on une maladie rare ? Quelles sont celles dont vous parlez ?

Les maladies rares touchent moins d’une personne sur 2 000. Même si on emploie le terme «rare», ces maladies se comptent par milliers. On en dénombre actuellement 8 000, sans compter que 200 à 300 maladies rares sont détectées chaque année. Au total, plus de 5% de la population mondiale en est atteint, soit un nombre plus important que celui des personnes atteintes par le diabète ou le cancer. Au Maroc, c’est pratiquement 1,5 million de personnes, voire 2 millions.

Ce sont à 80% des maladies d’origine génétique qui se déclarent pendant l’enfance, même si certaines peuvent survenir à l’âge adulte. Les trois quarts des maladies auto-immunes, qui concernent un dérèglement du système immunitaire, entrent également dans cette catégorie. On en compte plusieurs centaines. Globalement, les maladies rares présentent un panorama très diversifié ; elles peuvent toucher la respiration, comme dans le cas de la mucoviscidose (1), entraver la capacité à coaguler le sang, avec l’hémophilie par exemple, ou provoquer un vieillissement prématuré. Les muscles peuvent aussi se durcir comme des os, comme c’est le cas de la maladie de l’homme de pierre (2). De façon générale, les maladies rares peuvent regrouper des maladies neurologiques qui entravent la marche, l’équilibre et les facultés intellectuelles.

Vous évoquez l’importance de mettre en place des dépistages néonataux pour tous les nouveau-nés…  

Ça, c’est capital. On est très en retard au Maroc. En France, depuis les années 70, tous les nouveau-nés font l’objet d’un dépistage systématique pour détecter cinq maladies rares. Celles-ci peuvent notamment générer un retard d’acquisition de la marche et de la parole, ainsi qu’un retard ou une infirmité intellectuels, et provoquer des diarrhées et des vomissements. La mucoviscidose, dont je parlais à l’instant, doit être dépistée tôt pour repérer au mieux les symptômes et pouvoir prendre en charge l’enfant plus rapidement, ce qui va épargner à la famille beaucoup de tracas. De plus, au Maroc, pour la tyroïde, il y a quelques dépistages précoces qui sont effectués, mais ça reste encore balbutiant. Ce que l’on remarque surtout, c’est qu’il y a véritablement un langage de sourd entre les médecins et les familles, d’autant que les praticiens craignent que les factures, déjà chères, augmentent.

Il existe pourtant des tests de diagnostic, notamment en matière génétique et biologique, ainsi que de nouveaux traitements...

La génétique a réalisé énormément de progrès. Les laboratoires commencent effectivement à s’intéresser aux tests de diagnostic car ils veulent investir dans du matériel coûteux et sophistiqué, mais s’il n’y a pas de demandes du côté des malades, on ne pourra pas développer ces tests. Il faut déjà commencer par mettre en place, en amont, des formations au profit des médecins et organiser les structures hospitalières. Pour l’heure, il faut surtout poursuivre la bataille des dépistages néonataux.

Le parcours thérapeutique des patients atteints de maladie rare est souvent compliqué. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les maladies rares sont difficiles à diagnostiquer et aucun médecin ne peut toutes les maîtriser. Il faut tracer un parcours de soin pour chaque patient. En France, il y a un ou plusieurs centres référents pour chaque groupe de maladie rare qui peuvent établir un diagnostic et donner un traitement. Les patients peuvent donc être à proximité de ces centres, d’autant que ce sont des maladies lourdes, handicapantes, qui rendent difficile l’autonomie de la personne. Au Maroc, nous n’avons pas encore ces parcours de soin ; le malade ne sait pas où aller, vers qui se tourner… Parfois, ce sont les médecins qui ne savent pas où l’adresser. Il faut absolument structurer tout cela.

(1) Dans le cas de la mucoviscidose, le mucus est anormalement épais et collant ; il est «visqueux». Ce manque de fluidité va entraîner l’obstruction des canaux au niveau des organes concernés. Ainsi les bronches peuvent s’encombrer et s’infecter, provoquant toux et expectorations. Les voies et canaux digestifs (intestin, pancréas, foie) peuvent également être obstrués, provoquant des troubles digestifs et hépatiques.

(2) La maladie de l’homme de pierre, ou fibrodysplasie ossifiante progressive (FOP), est une maladie héréditaire qui se manifeste entre l’âge de 2 et 5 ans, et qui enferme progressivement le corps humain dans un second squelette. Les muscles et les tissus se transforment en plaques osseuses, les articulations cessent de fonctionner et le malade se trouve rapidement dans l'incapacité de se mouvoir.

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