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Grand Angle

Chronique littéraire : La femme serait-elle une création subalterne ?

La femme serait-elle une création subalterne ? Une question provocatrice parmi tant d’autres que Asma Lamrabet pose dans son dernier ouvrage «Islam et femmes», en vue de les remettre en question. L’auteure revient sur les mêmes arguments qu’avancent les oulémas classiques dans le but de les contredire et de montrer que, si la femme se trouve actuellemnt soumise et assujétie ce n’est pas à cause des Textes mais de leurs intéprétations qui demeurent fausses.

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Asma Lamrabet / Ph. Asma Lamrabet
Temps de lecture: 3'

«L'image d’Eve crée à partir d'une côte d'Adam hante notre lointaine mémoire», c’est un mythe qui n’est pas l’apanage de notre culture islamique, vu qu’il est antécédent à l’arrivée de l’Islam, et subsiste à l’origine du patriarcat universel. En effet, toutes les traditions issues des trois religions monothéistes l’ont adopté. Néanmoins, ce qui nous intéresse en tant que société musulmane, c’est le point de vue de l’Islam concernant cette question de la création secondaire de la femme. Un concept qui continue d’être soutenu par un grand nombre d’oulémas.

Ces derniers ont souvent recours, pour défendre leur avis, à un verset très célèbre : «Ô vous êtres humains, craignez votre Seigneur qui vous a créé d'une seule essence (nafs wahida) et qui a créé d’elle son conjoint (zawjaha) et qui de ces deux là a fait propager beaucoup d'hommes et de femmes…». Les termes nafs et zawjaha, sont d’importance capitale dans ce verset, on pourrait même dire qu’ils en sont le noyau. Selon l’interprétation des érudits musulmans classiques, le terme nafs signifie Adam qui serait crée en premier temps et en tant qu’un être suprême dont dérivera par la suite zawjaha qui serait Eve, en tant que créature secondaire.

Les théologiens classiques livrent une deuxième preuve pour appuyer leur thèse, en faisant appel cette fois-ci à un hadith du Prophète Mohammed lors de son «pèlerinage d’Adieu». Ainsi, dans le discours prophétique Eve serait «conçue à partir d'une côte déviée qu'il ne faudrait point forcer au risque de la casser». Prenant en considération le sens premier des mots, c’est toujours d’ «une côte» qu’il serait question pour désigner Eve et symboliquement la femme (en général) et affirmer qu’elle est subalterne à Adam (l’homme), rejoignant le verset déjà cité.

Mauvaises interprétations

Or, Asma Lamrabet contredit l’interprétation des deux arguments déjà évoqués. Pour elle, les deux interprétations sont erronées. En revenant sur le verset, l’auteure affirme que le terme nafs, «désigne [..] personne, individu...» indépendamment du sexe. Quand à «zawjiha», un mot «qui dérive de zawj, désigne à la fois le conjoint, […] ou le partenaire. Il est souvent utilisé pour parler indifféremment d’époux ou d’épouse [..] il peut être utilisé aussi bien pour l'homme que pour la femme». Conséquemment, rien dans le verset ne prouve qu’Adam serait crée en premier.

En revanche, pour abolir cette conception de la création secondaire des femmes, l'’écrivaine s’arrête sur le syntagme «nafs wahida» qui signifie «âme ou essence originelle». Cette «entité première englobe les deux sexes, mâle et femelle, et évolue [par la suite] vers les deux conjoints», ce qui veut dire ouvertement que la création de l’humanité est faite à partir d’une seule essence est de façon égalitaire.

Recontextualiser le hadith

Quand au hadith, il faut absolument le remettre dans son contexte historique pour en saisir le sens. D’abord, à aucun moment le Prophète n’évoque ni Adam ni Eve dans son hadith. Selon Asma Lamrabet, «le Prophète incitait les hommes, notamment les Arabes qui étaient à l'époque assez durs avec les femmes, à faire preuve de bienveillance et de douceur». Conséquemment, «la côte» n’est qu’une métaphore dont le Prophète fait usage pour désigner la sensibilité excessive des femmes, et la nécessité de les traiter avec délicatesse. Ce sont les savants musulmans qui ont fait un rapprochement entre les propos du Prophète et l’histoire d’Adam et Eve telle qu’elle est retracée dans la tradition biblique, et ont déduit par la suite qu’Eve a été «engendrée de l’une des côtes d'Adam».

En conséquence, ni le verset ni le hadith ne démontrent que la création de la femme est subalterne à celle de l’homme. Asma Lamrabet souligne qu’il y a certains oulémas modernes qui ont remis en question cette conception, mais qui demeurent rares. Cependant, d’autres savants insistent encore aujourd’hui sur de fausses interprétations du verset et du hadith, pour ainsi dévaloriser la femme et par la même, à justifier la domination de celle-ci par l’homme.

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