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Interview

Latifa Ibn Ziaten : « Nous n'allons pas en Israël ou en Palestine pour des raisons politiques mais pour des raisons humaines »

L’action sociale de Latifa Ibn Ziaten en France prend de l’envergure au fil du temps. Cette marocaine d’origine et mère du militaire qui fut la première victime de Mohammed Merah dans les tueries de Toulouse de mars 2012 multiplie les actions pour favoriser le vivre ensemble dans l’Hexagone. Cependant, elle ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté musulmane, notamment les Marocains. En effet, l’annonce de son prochain voyage en Israël a suscité de nombreuses critiques. Yabiladi a voulu savoir pourquoi elle persistait dans son projet malgré tout. Interview.

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Yabiladi : Votre engagement auprès de la jeunesse isolée de France est aujourd’hui reconnu. Qu’est-ce que cela vous fait de voir ainsi évoluer les choses ?

Latifa Ibn Ziaten : Je suis particulièrement ravi que les choses évoluent. Et je souhaite vraiment que cela continue pour que l'on puisse partager les valeurs du vivre ensemble, le sens du respect et l'esprit de tolérance. Que l'on puisse promouvoir un esprit de paix et de fraternité entre les peuples, car mon engagement auprès de cette jeunesse est d’œuvrer à la mise en place d'un authentique dialogue interreligieux, c’est d’aller à la rencontre de ces jeunes. Pour cela, depuis maintenant trois ans, je vais dans les établissements scolaires, les universités, les centres sociaux, les associations, les maisons de quartier, les familles d’accueil et je veux plus particulièrement aider les mères seules qui sont de plus en plus nombreuses… Je me rends également en prison pour parler aux détenus.

Depuis les derniers attentats [de Paris, ndlr], j’ai multiplié mes déplacements pour témoigner auprès des jeunes, notamment ceux qui émettent le désir de partir en Syrie, ainsi qu’auprès de leurs parents. Pour sensibiliser les jeunes et moins jeunes, je commence à raconter un peu ma souffrance de mère, celle d’avoir perdu mon fils alors qu’il était un jeune homme heureux dans la vie, dans sa famille, dans son métier, fier d’être un militaire. Je parle ensuite de l’importance du vivre ensemble, de l’éducation, de la tolérance, du respect des valeurs républicaines, du respect de l’autre quelle que soit la différence : physique, morale, religieuse... Je souligne aux jeunes que leur avenir leur appartient, qu’il est entre leurs mains et qu’afin que cet avenir soit beau, ils doivent travailler dur, respecter l’école et leurs professeurs.

Vous organisez actuellement un voyage en Israël au profit d’une quinzaine d’élèves. Il aura lieu fin avril, mais le projet n’enthousiasme pas beaucoup au sein de la communauté musulmane, notamment les Marocains. D’aucuns y voient une manière de faire la promotion d’Israël et de légitimer la politique du gouvernement actuelle hostile aux Palestiniens. Qu’en dites-vous ?

Au contraire, je vois à travers ce voyage une chance pour notre jeunesse de s'enrichir en découvrant l'Autre dans sa particularité et sa différence.

Vous savez, mon fils qui était militaire est mort, tué par un terroriste [Mohammed Merah, ndlr] motivé par une cause ou une idéologie remplie de haine et de terreur. Ce terroriste a tué des soldats français musulmans et chrétiens qui soit disant tuaient ses frères palestiniens. Il a également tué des enfants juifs français estimant qu’ils tuaient ces palestiniens. Et ce terroriste considérait L'Autre comme un mécréant.

Je suis à l'opposé de cette idéologie haineuse car selon ma personne et le sacrifice de mon enfant, la vie humaine est sacrée et nous devons respecter notre humanité. Nous n'allons pas en Israël ou en Palestine pour des raisons politiques, mais pour des raisons humaines. Nous accompagnons des jeunes pour vivre une expérience humaine significative pour nous d'un message de paix. Nous allons extraire des jeunes lycéens de leurs repères quotidiens de quartier sensible, pour leur ouvrir l'esprit, afin d’acquérir de nouvelles connaissances d'un héritage culturel de civilisation qui malheureusement a causé - à travers notre histoire - de nombreuses victimes. C'est donc en toute humilité que nous irons en Israël et en Palestine pour rencontrer l'Autre et respecter sa culture malgré sa différence, mais aussi pour connaître la religion de l'autre. C'est la base du vivre ensemble. Ce voyage, cette évasion culturelle est pour nous une occasion unique de s'enrichir et de lutter contre l'ignorance de certains qui peuvent causer du tort, de la souffrance, de la peur aux nations pacifistes.

Pourquoi avoir choisi cette orientation ? Ne pensez vous pas par exemple qu’emmener les jeunes dans les camps de concentration où étaient exterminés les juifs auraient été plus marquant dans le cadre de la mission de l’association Imad, plutôt que de les emmener découvrir la culture israélienne en Israël ?

Le séjour éducatif sera l'occasion de montrer également les victimes de cette idéologie haineuse qu'est le nazisme. Notre objectif est de montrer à cette jeunesse la capacité que peut avoir l'homme à s'autodétruire jusqu'à en faire perdre toute dignité. Ce n'est pas dans un camp concentration où nous ferons le plus de rencontres. Il faut voyager, s'évader l'esprit, communiquer et échanger avec les Autres pour apprendre sur soi pas avec des murs.

D’autres déplacements de ce genre sont-ils prévus au cours de cette année ?

J'ai prévu d'autres voyages éducatifs au cours de l'année au Maroc et à Washington.

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