Menu

Grand Angle

Que valent les chiffres repris par les médias marocains et arabes depuis Numbeo ?

Médias marocains et dans toute la région arabe, institutions ou universités, de plus en plus de structures reprennent des données de la plateforme serbe Numbeo. Mais ce site questionne sur sa méthodologie, puisque les informations qu’il rend accessibles sont fournies directement par les utilisateurs, sans vérification.

Publié
DR
Temps de lecture: 4'

Sites d’information, institutions de renom et centres de recherche s’appuient sur la plateforme Numbeo, qui fournit des classements mondiaux comme «l’indice de sécurité», «l’indice de pollution» ou celui de la «qualité de vie». Mais qu’en est-il de la fiabilité de ces données ?

Très connu dans le monde arabe notamment, Numbeo est parfois présenté comme une «encyclopédie mondiale des données», qui serait connue partout. Il fournit souvent des informations chiffrées, faisant de lui «la plus grande source digitale la plus connue au monde», une «plateforme de renom» qui renseigne sur la criminalité ou encore la sécurité à travers le monde. Certains vont jusqu’à le qualifier de «site américain fournisseur des milliers de statistiques».

Numbeo dans les médias arabes

Les articles qui reprennent Numbeo utilisent souvent des expressions laissant entendre que les statistiques sont crédibles, précis et universellement applicables. Au Maroc, le site Hespress a déjà repris des chiffres de cette plateforme, indiquant que le taux de pollution des eaux à Casablanca serait de «67,50%».

Le site de la chaîne Al Jazeera Mubasher a affirmé, dans un article basé sur Numbeo, que «le Qatar est le pays le plus sûr au monde en termes de sécurité et de réduction de la criminalité». Al Araby Al Jadeed s’est déjà basé aussi sur les mêmes sources, pour avancer que «le Liban est le pays où coût de la vie est le plus cher». Le site d’Al Jazeera s’est référé aussi à Numbeo, pour prétendre que le Maroc serait «le pire pays en termes de coût de la vie».

Des organismes gouvernementaux et des centres de recherche citent Numbeo

Au Qatar, le ministère de l’Intérieur s’est basé aussi sur Numbeo pour indiquer que le pays était le plus sûr au monde. Un site gouvernemental a également utilisé les statistiques de la même source, pour inciter les touristes à se rendre au Qatar.

A Abou Dhabi, le directeur général de la police s’est quant à lui félicité du classement de la ville comme étant la plus sûre, selon Numbeo. Le Qatar a même adopté certaines statistiques dans son examen volontaire de 2021 auprès des Nations unies, relatif aux Objectifs de développement durable (ODD).

Les statistiques de Numbeo ont bon dos également dans la recherche académique, dans le milieu universitaire, dans les revues scientifiques. Numbeo trouve écho même auprès de certains instituts bien connus, tels que le Centre arabe de recherche et d’études politiques, le Forum jordanien des stratégies et le Centre d’études et de recherche stratégiques aux Emirats arabes unis.

L’engouement pour les statistiques approximatives de Numbeo n’a pas épargné non plus les organisations non-gouvernementales. Ainsi, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) s’est déjà basé sur des données de la plateforme, pour formuler des critiquer sur les politiques gouvernementales en Tunisie.

Au Maroc, Aldar a précédemment cité des statistiques de Numbeo concernant «la hausse inquiétante de toutes les formes de criminalité en Algérie». A l’inverse, l’Agence de presse algérienne (APS) a évoqué les statistiques de Numbeo sur la prétendue détérioration du niveau de vie au Maroc.

L’association islamiste Al Adl Wal Ihsan n’est pas en reste, puisqu’elle s’est appuyée aussi sur des chiffres de Numbeo pour critiquer les politiques gouvernementales de santé. Ce même classement a été largement cité par des médias marocains et repris sur les réseaux sociaux, ce qui a poussé le ministère de la Santé et de la protection sociale à faire une mise au point sur les imprécisions et le manque d’objectivité de ces données.

La vérité sur la plateforme Numbeo

Créée par le Serbe Mladen Adamovic en 2009, Numbeo est une plateforme hébergée également en Serbie. Le site lui-même souligne qu’il permet à «toute personne disposant d’une connexion Internet de modifier son contenu». Il note expressément que «rien de ce qui se trouve» sur le site n’a nécessairement été examiné par des experts.

En guise de close de non responsabilité, Numbeo souligne que les initiateurs ne peuvent garantir une réponse aux exigences des visiteurs, «de manière opportune, précise ou sans erreurs, ou que les informations seraient sécurisées». «Rien n’assure l’exactitude des données ou des articles. Aucune garantie qu’une déclaration contenue sur le site Web serait correcte ou précise», affirme la même source.

Aussi, le site décline toute responsabilité envers les internautes sur les éventuels dommages directs ou indirects qu’il pourrait causer. Numbeo se présente comme un outils qui centralise des données provienant d’utilisateurs, s’exprimant sur divers indicateur, sans vérification des informations fournies.

Ainsi, chaque internaute peut modifier lui-même un classement sur Numbeo, en fournissant plusieurs évaluations, concernant par exemple une ville sûre ou dangereuse. Entre le 2 janvier 2022 et le 28 décembre 2022, le classement de la capitale marocaine Rabat dans l’indice de criminalité est passé de la 301e à la 290e place, grâce à l’opinion de seulement deux personnes.

De même, le 28 décembre 2022, la capitale népalaise a été classée la plus pauvre ville sur la base de seulement 216 opinions de personnes. D’autres villes ont suivi avec des échantillons de taille tout aussi faible. Casablanca s’est classée 32e sur la base de 91 avis. De toute évidence, Numbeo s’apparente davantage à un «forum en ligne» recueillant les avis des visiteurs sur divers sujets (indicateurs).

Les sources fiables existent

Contrairement à cette plateforme, l’Institut pour la paix et l’économie mondiale de l’Université de Sydney publie chaque année un indice mondial recoupé. Il se base sur plusieurs indicateurs, notamment les décès dus aux conflits, la militarisation, terrorisme, la sécurité alimentaire, la stabilité politique, entre autres. Ce classement repose aussi sur des critères scientifiques et diffère sensiblement de celui de Numbeo, où le Qatar est classé 23e et l’Islande premier.

Pour l’indice de pollution, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recourt pour sa part à des informations croisées. Elle se base notamment sur la mesure la qualité de l’air dans les lieux publics, sur des rapports officiels, sur le système «Clean Air Asia», la base de données de l’Agence européenne pour l’environnement, ou encore des mesures au sol collectées pour le projet Global Burden of Disease.

Numbeo n’a quant à lui pas eu des échos uniquement dans la région arabe. Plusieurs médias occidentaux reconnus l’ont déjà repris, comme Forbes, Euronews, Fox News, Russia Today, ou même l’agence de presse espagnole EuropaPress.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com